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LE MAROC.

d’un coup de main. La ville se divise en trois parties : le mont Acho, l’Almina et la Citadelle. Le mont Acho, qui commande toute la presqu’île et l’entrée du détroit, est couronné par un fort et défendu par des retranchemens solides. La garde du fort est très active et surveille avec une extrême vigilance tous les bâtimens qui traversent le détroit, et surtout les démarches des Maures ; ceux-ci ne se sont jamais consolés de la perte de cette ville de Ceuta, que leurs poètes ont tant chantée, et qui a été pour eux durant tant de siècles un théâtre de guerre et de carnage ; ils ont l’œil sans cesse ouvert sur cet antique séjour de leurs ancêtres ; ils n’attendent qu’une occasion favorable pour en reprendre possession, et ont toujours de petits camps établis aux alentours.

La Citadelle est à la pointe de la péninsule ; elle est défendue par un rempart entouré d’un fossé plein d’eau, et l’on n’y pénètre que par un pont-levis.

L’Almina est la partie la plus agréable de la ville, ou plutôt l’Almina est la véritable ville ; c’est là qu’habitent les bourgeois, les marchands et les employés de l’administration civile et militaire. Presque toutes les maisons ont des jardins couverts de verdure, de fleurs et de fruits pendant toute l’année. Elle a une cathédrale supportable, deux couvens, supprimés sans doute aujourd’hui comme ceux de l’Espagne, un hôpital et différentes écoles, dont une de pilotage ; tout cela en assez mauvais état. La population s’élève à trois ou quatre mille ames, non compris la garnison, qui est toujours nombreuse. Il y a le long de la mer un quai d’où la vue est magnifique, sur le rocher de Gibraltar, coupé en deux crêtes, comme le rocher de Delphes, et sur toute la côte espagnole, dont la beauté est telle qu’elle lasse l’admiration. De l’autre côté est la promenade ou Alaméda, d’où la vue s’étend sur toute la côte marocaine jusqu’aux montagnes du Riff, qui bornent l’horizon au midi. Un point blanc brille bien loin sur cette plage déserte ; c’est la Kassaba de Tétouan.

En temps régulier, l’administration de Ceuta se compose du commandant-général, auquel obéissent le militaire et la police, et d’un intendant des finances, qui a sous ses ordres deux trésoriers. Le tribunal royal connaît des affaires civiles et criminelles. Ceuta tire de l’Espagne ses approvisionnemens tant pour la défense et l’entretien des troupes que pour la subsistance des habitans. Des chebecs toujours armés en guerre font le service des vivres et des munitions, de manière qu’un blocus un peu long jetterait la ville dans de cruelles angoisses. Tentés par la cupidité, les Maures consentent bien à vendre du bétail aux