Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/315

Cette page a été validée par deux contributeurs.
311
LE MAROC.

quoiqu’il fût armé d’un gros bâton et que je n’eusse que ma cravache en main ; je remontai à cheval au milieu de ses vociférations, et, saluant du geste les deux jeunes filles, je repris la route de Tanger.

Une autre fois, je tombai au milieu d’un groupe de jeunes négresses accroupies au bord d’un champ ; les noires filles du Soudan firent encore moins de difficultés pour se laisser voir que les deux jeunes Moresques d’Ez-Zeitun ; leur curiosité prévint la mienne, et elle alla bientôt jusqu’à l’indiscrétion. Je venais de lire une page de la Genèse, je me trouvais maintenant à Tombouctou.

Il était rare, quand je sortais seul, que mes promenades ne m’offrissent pas quelque incident de ce genre, et puis, faites ainsi, elles avaient une pointe d’aventure et même de danger qui ne me déplaisait pas. Allant au hasard, j’avais toujours devant moi l’inconnu, et je faisais des découvertes ; tantôt je me retrouvais, après mille détours, au milieu de sites déjà visités ; tantôt des horizons nouveaux s’ouvraient devant moi ; ici, c’était un adouar bâti au sommet d’une colline ombragée d’oliviers ; là, une lande aride et déserte ; ailleurs, une montagne agreste, partout l’imprévu.

Un des points les plus frappans des environs de Tanger est le jardin d’Amérique, situé sur une montagne dont la base et les flancs sont d’une aridité désolante. L’ascension en est très pénible, le raide sentier est tout hérissé de rochers bruts, où le pied des chevaux glisse et s’embarrasse ; mais arrivé au sommet, on est bien dédommagé de la fatigue. Autant le pied de la montagne est sec et nu, autant la cime en est boisée ; c’est un paradis de verdure et de fraîcheur ; les chênes verts, les liéges, les caroubiers, et autres arbres vivaces, s’entrelacent étroitement les uns dans les autres, et forment d’épais massifs et des berceaux impénétrables ; le genévrier odoriférant distille au soleil ses parfums fortement aromatiques, et l’on respire là je ne sais quel air suave à la fois et robuste qui reporte aux forêts vierges des régions primitives. Le tombeau d’un santon, surmonté d’un drapeau rouge, est bâti au milieu de ces solitaires ombrages, et l’approche de ces hauteurs consacrées fut long-temps interdite aux chrétiens ; mais aujourd’hui la consigne est levée, et le sanctuaire est accessible aux infidèles. Un consul d’Amérique a même construit tout auprès une villa qui est le séjour le plus pittoresque et le plus poétique qu’il soit possible de choisir ; elle est inhabitée cependant : si le fanatisme dort le brigandage veille ; les Riffains n’auraient qu’à savoir que le lieu est habité pour y apporter aussitôt le meurtre et le pillage. Ce danger est si grand, que pas un des consuls n’oserait passer la nuit dans ses jar-