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répondait pas de moi. Toutefois il m’accordait la permission, et il était prêt à faire marcher autant d’hommes que je voudrais.

Nous comprîmes bien que ce n’était là qu’une défaite. Le kaïd n’osait pas faire un refus positif au consul de France, mais au fond il ne se souciait pas que ce voyage s’exécutât. Peut-être voyait-il en moi, comme son collègue de Tétouan, quelque éclaireur suspect envoyé par les futurs conquérans pour reconnaître le pays, car depuis la prise d’Alger les Marocains tremblent au seul nom de Français, et sont vivement préoccupés de la possibilité d’une descente sur leurs côtes. Peut-être aussi le Maure, avide et rancuneux, voulait-il se venger de ce que je m’étais obstiné à ne lui point faire mon cadeau. On se souvient que je voulais le punir par là de m’avoir fait si long-temps languir au débarquement. Un de ses officiers m’avait sondé à cet égard, je lui dis qu’il n’était point d’usage en France de faire des présens aux préfets, et qu’on n’en exigerait point du kaïd quand il viendrait voyager chez nous.

Ce qu’il disait pourtant n’était pas absolument faux ; toute cette côte septentrionale, du cap Malabatte au cap Léona, est habitée par une peuplade farouche qui tient beaucoup de celles du Riff, dont elle a les mœurs. Dispersés sur le mont Angiara, un rameau du petit Atlas qui vient tomber dans le détroit de Gibraltar, ces sauvages y vivent de rapines et massacrent infailliblement les équipages que la tempête jette sur cette côte impitoyable. Ils ont une espèce de ville ou village au bord de la baie d’Al-Cassar-el-Saghir dont elle a pris le nom. Cette ville fut fondée par Jacob Almanzor, empereur des Almohades, en vue de la côte d’Europe, pour en faire une place d’observation. Elle paraît n’être plus aujourd’hui qu’un hameau misérable. C’était le pays qu’il me fallait traverser pour gagner Ceuta, et on ne le traverse guère ; la voie de mer est presque la seule qu’on emploie. La demi-douzaine de cavaliers que me proposait le kaïd n’était pas de trop ; ce n’en était pas moins un fort dur impôt que le barbare aurait levé sur moi pour se dédommager sans doute du cadeau dont il se voyait frustré. Pour le voyage de Tétouan, qui n’est que d’un jour, un seul homme d’escorte nous avait coûté quatre piastres, six hommes au même prix m’auraient donc coûté, pour deux jours, quarante-huit piastres, ou 260 francs, sans compter les mules, les muletiers et le reste ; cela devenait fort cher, et je renonçai à mon projet, sauf à passer plus tard de Gibraltar à Ceuta.

J’aurais bien voulu pousser jusqu’à Fez et Miquenez ; les mêmes considérations m’en empêchèrent ; c’est un voyage horriblement coû-