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LA DERNIÈRE ALDINI.

dame, qui êtes douce et pleine de condescendance pour les petites choses, mais qui, pour les grandes, savez trouver dans le foyer de votre cœur tant d’énergie et de résolution, voici le moment où vous devez montrer le courage de la lionne qui ne se laisse point arracher ses petits. Venez, madame, venez ; reprenez votre fille, et qu’elle ne vous quitte plus. Pourquoi la laissez-vous dans des mains étrangères, livrée à une direction malhabile qui l’irrite et la pousserait à de grands écarts, si elle n’était votre fille, si le germe de vertu et de dignité déposé par vous dans son sein pouvait devenir le jouet du premier vent qui passe ? Ouvrez les yeux ; voyez que l’on contrarie les inclinations de votre enfant dans des choses légitimes et sacrées, et qu’ainsi l’on s’expose à la voir résister aux sages conseils et se faire une habitude d’indépendance que l’on ne pourra plus vaincre. Ne souffrez pas qu’on lui impose un mari qu’elle déteste, et craignez que cette aversion ne la porte à faire un choix précipité, plus funeste encore. Assurez sa liberté. Qu’elle ne soit enchaînée que par la sollicitude de votre amour éclairé, de crainte que se méfiant de votre énergie protectrice, elle ne cherche dans sa fantaisie un dangereux appui. Au nom du ciel, venez !

« Et si vous voulez savoir, madame, de quel droit je vous adresse cet appel, apprenez que j’ai vu votre fille sans savoir son nom, que j’ai failli devenir amoureux d’elle ; que je l’ai suivie, observée, cherchée, et qu’elle n’était pas si bien gardée que je n’eusse pu lui parler et employer (en vain sans doute) tous les artifices par lesquels on séduit une femme ordinaire. Grâces au ciel ! votre fille n’a pas même été exposée à mes téméraires prétentions. J’ai appris à temps qu’elle avait pour mère la personne que je vénère et que je respecte le plus au monde, et dès cet instant les abords de sa demeure sont devenus sacrés pour moi. Si je ne m’éloigne pas à l’instant même, c’est afin d’être prêt à répondre à vos plus sévères interrogations, si, vous méfiant de mon honneur, vous m’ordonnez de paraître devant vous et de vous rendre compte de ma conduite.

« Agréez, madame, les humbles respects de votre esclave dévoué,

« Nello. »


Je cachetai cette lettre, songeant au moyen de la faire parvenir à son adresse avec le plus de célérité possible, sans qu’elle tombât en des mains étrangères. Je n’osais la porter moi-même, dans la crainte qu’Alezia irritée ne fît quelque acte de folie ou de désespoir en apprenant mon départ. D’ailleurs il était bien vrai que je voulais pou-