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Mme de La Vallière à Mme de Maintenon, de la galanterie à la religion ; il en résulta que les mœurs de la cour et, par suite, de la nation, désapprirent la galanterie chevaleresque, et qu’elle sortit des habitudes nationales. Et quand le règne de Louis XIV fut passé, on ne retrouva que la licence et le dérèglement. Le xviiie siècle fut rempli par de nouveaux intérêts ; la pensée agita toutes les grandes questions de la religion, de la philosophie et de la politique. Au milieu de ces préoccupations, et sous l’influence de la corruption introduite par la régence, ce qui pouvait rester de chevaleresque dans les sentimens disparut.

Les mœurs gardèrent une seule trace de l’ancienne courtoisie, ce fut la politesse des manières, l’urbanité du langage ; à l’époque où toutes les traditions du moyen-âge, bonnes ou mauvaises, furent brisées, l’urbanité vint s’abîmer dans cette parodie de la rudesse de Sparte et de Rome, qui se donna le nom, aussi grossier qu’elle-même, de sans-culotisme.

Il est resté pourtant après tout cela, et il reste encore une certaine empreinte des mœurs et des sentimens chevaleresques, qui, dit-on, va s’effaçant tous les jours. Au premier rang est ce qui ne périra jamais chez nous, le sentiment de l’honneur, le point d’honneur qui ne fait encore que trop de nobles victimes ; enfin, ce qu’on appelle l’élégance, la distinction des manières, et qui remonte en droite ligne aux habitudes de la vieille courtoisie, de la vieille galanterie française ; c’est là ce qui subsiste encore des mœurs chevaleresques. Le torrent des siècles a déraciné l’arbre de la chevalerie ; la fleur de cet arbre puissant surnage seule sur les flots prêts à l’engloutir.


J.-J. Ampère.