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d’une galanterie recherchée ; partout, dans ce tableau du XIVe siècle, tracé avec l’intention de mettre la chevalerie en relief, partout on voit à côté d’elle ce qui n’est pas elle et ne lui ressemble pas. La chevalerie paraît exister encore ; mais, à vrai dire, c’est son cadavre qui semble vivre ; elle est un peu comme le Cid, qui, après sa mort, fut placé sur son cheval Babieça, et qui, emporté par lui dans la mêlée, paraissait encore triomphant tout mort qu’il était. Au XVe siècle les désastres, la misère universelle font perdre de plus en plus le sentiment de l’exaltation et de la délicatesse chevaleresques. Sainte-Palaye voit dans Jeanne d’Arc une résurrection de la chevalerie. Bien que la tradition ait mis dans ses mains la joyeuse de Charlemagne, je vois en elle une apparition de la patrie qui va naître, plutôt que de la chevalerie qui s’en va. En effet, le mot patrie, qui n’existe pas encore, va être créé par Dubellai, parce que le temps en est venu, et que les mots suivent les choses.

Louis XI porta le coup de mort à la féodalité, et la féodalité était identifiée à la chevalerie. Pendant que toutes deux périssent en France, la chevalerie se ranime à la cour des ducs de Bourgogne. Cette chevalerie n’est pas naïve, mais artificielle ; elle n’est pas primitive, mais ressuscitée ; elle est faite d’après les livres. L’opulence que répandaient dans les états des ducs de Bourgogne le commerce et l’industrie de leurs villes, l’entoure d’un grand éclat ; mais cet éclat ne naît pas de ce qui avait fait le fondement de la chevalerie : il naît de ses brillans accessoires ; il se manifeste par les pompes, les fêtes et les machines. C’est alors qu’on invente l’ordre, moitié mythologique, moitié galant, de la Toison-d’Or. Enfin c’est dans le duché de Bourgogne que paraît en regard de la figure impassible de Louis XI, la figure ultra-chevaleresque de Charles-le-Téméraire ; don Quichotte héroïque, qui, comme le premier, a les plus grandes qualités, mais qui seulement se trompe sur son temps. Au XVIe siècle, on tente, en France, d’imiter ce qu’on a fait au XVe chez les ducs de Bourgogne. François Ier, sous l’influence des romans de chevalerie et des poèmes italiens, aspire à recomposer artificiellement une chevalerie ; il se fait armer par Bayard. Les dames viennent à sa cour, et la galanterie reparaît dans les mœurs françaises.

Mais bientôt le contraste que Froissart nous a présenté au XIVe siècle, se montre ici bien plus frappant encore. À côté de cette chevalerie renouvelée, se dessinent la politique anti-chevaleresque de cette époque, les cruautés des bandes mercenaires qui se disputent l’Europe, le fanatisme religieux, et les haines de partis. La tentative de François Ier avorte, et la chevalerie meurt dans le tournoi où périt