avec une requête qu’il adressait à tous les chevaliers, rois et princes du monde, leur représentant qu’ayant fait vœu de briser trois cents lances en trois mois, il avait besoin de nombreux adversaires ; il priait donc, au nom des dames, tous les chevaliers de venir à son aide. Il fit de grands préparatifs pour la réception des opposans, et sa mère lui envoya une noble dame pour les soigner. Tout se passa dans le plus grand ordre et selon les règles de la plus parfaite courtoisie ! Cependant un chevalier, dans le nombre, fut tué. Suerro envoya chercher un prêtre pour réciter des prières sur le mort ; mais l’église n’accordait pas la sépulture chrétienne à ceux qui périssaient dans les tournois, le prêtre refusa, et la victime du passe-temps chevaleresque fut enterrée hors de la terre sacrée avec de grands honneurs ; puis, l’on continua le divertissement. Beaucoup d’incidens sont racontés ; j’en citerai quelques-uns. Des dames passaient avec deux chevaliers, on leur demande de déposer leurs gants jusqu’à ce qu’ils soient dégagés ; mais les chevaliers répondent qu’ils vont en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, et qu’ils ne connaissaient pas les lois du pas d’armes. Alors on leur rendit les gants de leurs dames, et on leur dit qu’il y avait là un grand nombre de chevaliers prêts à les dégager en rompant des lances pour toutes les dames inconnues ; qu’un entre autres s’était chargé pour sa part de dégager les gants de toutes les dames qui viendraient à passer sans chevalier. Un noble castillan se présente, et demande l’ordre de la chevalerie à Suerro pour pouvoir le combattre ; Suerro l’arme chevalier et le combat. Chacun, d’après les conventions, devait briser seulement trois lances ; mais un certain Mendoza, qui descendait du Cid, après avoir brisé les siennes, demanda à en briser d’autres encore pour toucher sa dame, car il ne s’était engagé dans ces aventures que dans le dessein de lui plaire. Suerro lui répond : « Vous n’avez qu’à déclarer qui est votre dame, et je me rendrai près d’elle, je lui dirai combien son amant est un brave chevalier ; mais rompre plus de trois lances est contre les lois du pas d’armes. L’ardeur pour la joute était si grande, qu’un trompette de Lombardie vint jouter avec son instrument contre un trompette castillan, et fut vaincu. Au bout du mois, soixante-huit chevaliers avaient fourni sept cent vingt-sept courses ; mais, avec toute la bonne volonté possible, Suerro n’avait brisé que cent soixante lances. Cependant les juges du camp le dégagent de son vœu, et lui font déposer le collier de fer qu’il devait porter au col jusqu’à l’accomplissement de ce vœu ; puis l’on dresse un procès-verbal qui déclare le vœu accompli. Ceci se passait un peu plus d’un siècle avant Cervantès, et c’est ce qui fait comprendre don Qui-
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DE LA CHEVALERIE.