qu’à l’excès et jusqu’au délire, dans cette assemblée de Beaucaire, par exemple, où l’on vit dix mille chevaliers chercher à se surpasser en magnificence et en prodigalité. Le comte de Toulouse donna à Raimond d’Agout cent mille pièces d’argent en pur don ; celui-ci s’empressa de les distribuer à ses chevaliers. Un autre imagina de faire labourer un champ et d’y semer trente mille pièces. Enfin, un troisième, ne sachant comment témoigner son mépris des richesses, fit venir trente chevaux superbes et les brûla. Ces faits attestent, par leur extravagance même, la généreuse exaltation que la chevalerie avait donnée aux ames. Nous avons remarqué que les deux caractères des sentimens chevaleresques étaient l’exaltation et la délicatesse. La délicatesse, — chose si nouvelle alors, et qu’on est si surpris de rencontrer au milieu d’une société dont le fond est la violence, — la délicatesse passant dans les mœurs produit la courtoisie, qui forme un contraste extraordinaire avec la brutalité inhérente à ces mœurs, et que l’antiquité ne connaissait pas ; l’antiquité eut des mœurs élégantes, splendides, voluptueuses, mais non des mœurs courtoises. Ceci tenait à l’absence des femmes, au moins de femmes respectées. L’antiquité eut l’équivalent de nos clubs actuels et des petits soupers du dernier siècle, mais elle n’a pas eu de salons : les salons sont nés des cours, qui, comme le nom l’indique ont donné naissance à la courtoisie ; les nombreuses cours des souverains féodaux étaient au milieu de la barbarie universelle, autant de foyers d’une élégance relative. La courtoisie pénétra les ames qui en semblaient le moins susceptibles, et jusqu’à l’ame fougueuse de Dante. Outre tous ses autres mérites, sa poésie a un charme et un parfum de courtoisie remarquable : c’est toujours avec une extrême politesse de langage qu’il adresse la parole, même aux damnés.
Le sentiment qui faisait le fond de l’amour chevaleresque, le culte de la femme, se répandant sur l’ensemble des mœurs, débordant hors de lui-même en quelque sorte, et, outre le dévouement exclusif pour la dame choisie, s’appliquant, dans une mesure différente, à la galanterie, dont le nom résonne maintenant comme un nom frivole, a été un élément de civilisation, a amené une amélioration immense dans la condition des femmes, et, par suite, dans toute la société.
Un autre sentiment qui a influé sur les mœurs du moyen-âge et sur les mœurs modernes, et dans lequel se retrouvent les deux caractères de la chevalerie, l’exaltation et la délicatesse, c’est le sentiment de l’honneur. L’antiquité connaissait plus la vertu que l’honneur ;