la portion intérieure, l’ame de la chevalerie, savoir, les sentimens ; puis ce qui en forme la portion extérieure et comme le corps : les mœurs et les institutions.
J’ai déjà dit que les sentimens fondamentaux de la chevalerie pouvaient se ramener au sentiment de générosité et à l’amour chevaleresque ; le double caractère de ces deux sentimens est l’exaltation d’une part, et la délicatesse de l’autre. En effet, la vie du chevalier est une exaltation perpétuelle de religion, de vaillance, d’amour, de poésie. Cette exaltation tient à l’élan général qui, au commencement du moyen-âge, élève et emporte, pour ainsi dire, toutes les ames ; élan qui, dans divers ordres de faits, produit les croisades, l’émancipation des communes et le mouvement ascendant de l’architecture appelée gothique. Rien n’est donc plus naturellement en harmonie avec le caractère de cette époque que l’exaltation chevaleresque ; la délicatesse est plus étrangère aux habitudes du moyen-âge. Cette délicatesse, qui se manifeste alors dans la poésie des troubadours et qui est poussée jusqu’au raffinement, tient à deux causes : au christianisme d’abord, et je reviendrai sur la part que le christianisme peut réclamer dans la chevalerie ; puis à la situation des femmes, à la nature des sentimens qu’elles inspirent. Ce dernier point mérite d’être examiné avec quelques détails, et, bien que ce sujet puisse paraître étrange, il est cependant nécessaire de l’aborder ; l’histoire littéraire est l’histoire de la pensée et de l’ame humaine. L’histoire de la pensée humaine m’a conduit quelquefois dans le champ épineux de la théologie ; aujourd’hui, l’histoire de l’ame humaine m’entraîne sur un tout autre terrain, qui a aussi ses épines, mais que je ne saurais éviter. En parlant des sentiments qui sont l’ame de la chevalerie, je suis forcé de m’arrêter sur celui de ces sentimens qui y a joué le plus grand rôle, sur l’amour chevaleresque. Il faut donc que le lecteur se suppose pour un moment transporté dans une cour d’amour, dont je tâcherai d’être le très impartial et très grave rapporteur.
En Orient, rien ou presque rien ne ressemble à l’amour chevaleresque : la passion y est ivresse et délire ; les agitations, les jalousies, les fureurs du harem, se trahissent rarement dans les chants des poètes orientaux ; un de nos grands écrivains, Montesquieu, les a exprimées admirablement dans les Lettres persanes. La femme, en Orient, étant presque partout renfermée, peut être une esclave adorée, mais ne peut être ce qu’elle était au moyen-âge, une souveraine, une dame, domina.
Dans les traditions épiques de l’Inde, la femme joue un rôle ana-