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DE LA CHEVALERIE.

c’est ce qu’on trouve à toutes les pages de Froissart. Alors les chevaliers tournent aux chefs de bandes, aux condottieri, et cependant quelques restes et comme quelques échos de l’exaltation chevaleresque se prolongent encore au milieu d’un monde si étranger à cette exaltation.

Pour suivre l’histoire de l’esprit chevaleresque, il est bon de comparer ce qu’à différentes époques différens auteurs du moyen-âge présentent comme l’idéal du chevalier. Dans les âges qui suivirent, à partir du XVe siècle, cet idéal s’altéra toujours davantage ; des idées qui, dans le principe, lui étaient entièrement étrangères, y entrèrent, et ont fini par s’y associer étroitement. Ainsi, quand on parcourt ces recueils des XVIe et XVIIe siècles qui portent le nom de Théâtre d’honneur, Théâtre de chevalerie, et qui contiennent à la fois des traits de la chevalerie du moyen-âge et des additions qu’y ont apportées les siècles suivans, on trouve, à côté des anciennes prescriptions, de nouveaux réglemens dictés par des opinions nouvelles. Dans ces recueils, il est dit que le chevalier doit combattre pour le bien public, pour son pays, être fidèle à son prince, ne pas recevoir de récompense d’un prince étranger, idées entièrement étrangères et souvent contraires aux idées de la chevalerie du moyen-âge. Cette dépendance à l’égard d’un prince ou d’un pays répugne à l’essence de l’ancienne chevalerie, espèce de grande république dont chaque chevalier était un citoyen indépendant. Ce vieil esprit d’indépendance chevaleresque et la supériorité reconnue, au moyen-âge, de la chevalerie sur tout le reste, se trahissent parfois, même dans ces recueils qu’a déjà pénétrés l’esprit monarchique, par certaines restrictions apportées aux préceptes nouveaux : par exemple, il est dit que le chevalier doit donner un an et un jour à une entreprise qu’il a commencée, bien qu’il soit rappelé pour le service de son roi et de son pays. Voilà la chevalerie primitive, plus féodale que monarchique, plus individuelle que politique. Plus tard, la monarchie et la politique ont voulu s’emparer de la chevalerie, l’enrôler à leur service, et l’auraient tuée, si elle n’eût pas été déjà morte. C’est le fantôme de la chevalerie qui a été au service de l’état, de la monarchie. La chevalerie vivait de sa propre vie, était en dehors du gouvernement, avait son principe en elle-même, supérieur à la distinction des nations et aux puissances établies. La religion seule pouvait disputer la chevalerie à l’amour. Dieu et ma dame, tel était le cri, la devise du chevalier au moyen-âge. Ce ne fut que plus tard, et quand la chevalerie n’existait plus réellement, qu’on ajouta : Et mon roi.