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et son fils le Prince Noir apparaissent bien environnés d’une auréole chevaleresque assez brillante ; mais cette auréole brille un peu tard, après un long contact de l’Angleterre et de la France, et, je crois, par l’influence de la chevalerie française.

Tels sont les divers théâtres sur lesquels la chevalerie se développe dans des proportions diverses. Il reste à dire un mot de ses différens âges, des changemens qu’elle a subis, des transformations par lesquelles elle a passé. J’ai déjà eu occasion de parler des trois âges de la chevalerie, auxquels correspondent nos trois plus anciens prosateurs, Villehardouin, Joinville et Froissart. Le mâle Villehardouin représente l’âge héroïque où la guerre domine et l’emporte sur la galanterie ; Joinville, la chevalerie, que l’influence des femmes a rendue déjà moins sévère, plus courtoise, la chevalerie qui fait dire au sénéchal combattant au milieu des infidèles : « Nous parlerons de ceci dans la chambre des dames. » Enfin Froissart peint la chevalerie en décadence, celle qui est plus dans les souvenirs et dans les imaginations que dans la réalité, qui fait une sorte d’exception à cette réalité, aux mœurs violentes, brutales, cupides, qui règnent presque sans partage, et parmi lesquelles se trouvent disséminées, on ne sait comment, quelques lueurs de chevalerie. Cette succession que nous ont présentée ces trois écrivains, nous la retrouverons dans d’autres monumens de la littérature du moyen-âge. Les deux grands cycles épiques, celui de Charlemagne et celui de la Table-Ronde se rapportent aux deux grandes périodes de la chevalerie. Les poèmes du cycle de Charlemagne peignent en général la chevalerie guerrière dans sa grandeur, dans sa sévérité, quelquefois dans sa sauvagerie primitive, et les poèmes de la Table-Ronde, un grand nombre d’entre eux au moins, postérieurs en général, par leur composition, aux poèmes carlovingiens, représentent le second âge de la chevalerie, l’âge de la chevalerie galante et gracieuse. Quant à la chevalerie déchue, elle n’a pas de représentant dans la poésie épique et ne pouvait en avoir. La galanterie chevaleresque existe bien dès le principe, elle est aussi ancienne que le moyen-âge ; mais elle ne domine pas d’abord. C’est dans les romans de la seconde période qu’on voit, par exemple, ce qu’on n’a pas vu jusque-là, les dames armer les chevaliers, conférer l’ordre de chevalerie, et la lance qu’il est le plus glorieux de rompre dans les tournois s’appelle la lance des dames. Enfin, dans la troisième époque, la chevalerie abjure son principe de désintéressement, de générosité, en se vendant, en se louant à qui veut la payer, en faisant une sorte de négoce de la rançon des prisonniers :