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DE LA CHEVALERIE.

tesse ; elle vint à son lit et le prit entre ses bras ; et quand il sut que c’était la comtesse, il retrouva la vue, l’ouïe, l’odorat, et loua Dieu, lui rendant grace d’avoir soutenu son existence jusqu’à ce qu’il eût vu sa dame. Et ainsi il mourut entre les bras de la comtesse, et elle le fit honorablement enterrer en la maison du Temple à Tripoli ; et puis, le second jour, elle prit le voile, à cause de la grande douleur qu’elle eut de la mort de Geoffroi. »

On ne peut rencontrer dans un roman de chevalerie rien de plus exalté et de plus tendre que cette histoire. Au reste, pour prouver l’existence de l’amour chevaleresque, il suffirait de citer les deux plus grands noms de la poésie italienne, Dante et Pétrarque.

Quel autre sentiment inspira au premier son grand poème, entrepris, comme il le dit lui-même, pour glorifier Béatrix ? Quel sentiment dicta au second, durant vingt années, les hommages harmonieux qu’il adressait à Laure, si ce n’est l’amour chevaleresque dans toute sa pureté et dans toute sa puissance ?

Il y a plus : des aventures pareilles à celles qui se trouvent dans les romans furent entreprises par des personnages historiques. Le héros de celle qu’on va lire fut le marquis de Montferrat, compagnon de Baudoin à la conquête de Constantinople, et roi de Thessalonique. Il s’agit de la délivrance d’une belle opprimée ; le fait est attesté par un de ceux qui y ont pris part, le troubadour Raimbaud de Vaqueiras. Rien ne manque à cette aventure pour ressembler parfaitement à un épisode d’un roman de chevalerie ; tout s’y trouve : enlèvement, protection de la faiblesse, victime arrachée à un ravisseur, jours et nuits passés dans les rochers, combats avec des brigands, amans unis par leur libérateur.

« Rappelez-vous lorsque le jongleur Aimonet vous porta à Mont-Alto la nouvelle que l’on voulait emmener Jacobina en Sardaigne, pour la marier là contre son gré ; rappelez-vous comme vous prêtâtes l’oreille à ses soupirs, comment elle vous donna un baiser avant de partir, et vous pria instamment de la protéger contre un avide ravisseur. Vous fîtes aussitôt monter à cheval cinq de vos meilleurs varlets, et nous chevauchâmes la nuit, après souper, vous, Guiet, Hugonet d’Alfar, Bertaldon qui nous servait de guide, et moi-même, car je ne veux pas me passer sous silence. J’enlevai la jeune fille au moment où on allait l’embarquer. Alors s’éleva une clameur sur la terre et sur la mer, on se précipitait sur nos pas, à pied et à cheval ; nous nous hâtions de fuir et nous pensions déjà échapper, lorsque les Pisans nous attaquèrent. Quand nous vîmes tant de cavaliers, tant de beaux har-