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chercher les aventures brillantes pour le plaisir de les chercher. Les grands hommes de l’antiquité combattent pour obéir aux saintes lois de la patrie, ou par ambition pour dominer ou opprimer leurs concitoyens, pour conquérir le monde, jamais par un entraînement chevaleresque : un seul peut faire exception, c’est Alexandre. Alexandre était certainement guidé dans ses conquêtes par de grandes vues politiques, mais il a chez lui, à côté de la politique et au-delà, un certain élan, un certain emportement qui l’entraîne toujours plus avant, toujours plus loin vers l’Orient, là où il est presque insensé d’aller, là où il n’y a plus de conquête raisonnable à faire. Que ne s’arrêtait-il à Babylone, véritable centre de l’empire d’Orient, de cet empire qu’il voulait fonder ! Mais non ; il faut aller aux Indes, il faut aller, comme le disent de lui les traditions de Java, découvrir le berceau du soleil, et si son armée ne l’eût arrêté, il aurait marché jusqu’en Amérique !

Dans cette impétuosité irréfléchie, mais sublime, il y a quelque chose de l’exaltation chevaleresque ; aussi la chevalerie ne s’y est pas trompée, elle a reconnu Alexandre pour un des siens, et on en a fait le centre d’un des cycles de la poésie chevaleresque et du plus vaste qui existe.

Mais laissons les Grecs et les Romains. Chez des peuples moins avancés en civilisation, nous pourrons trouver plus de traces de cet esprit que nous cherchons. Tels sont les peuples germaniques chez lesquels existait l’adoration des femmes, la croyance à quelque chose d’inspiré, de divin dans les femmes, idées tout-à-fait étrangères à l’antiquité grecque et latine, idées qui tiennent, il est vrai, surtout à la religion, mais qui font pressentir que là où elles se trouvent se trouvera, même hors de la sphère religieuse, un certain ascendant des femmes ; c’est ce qui a lieu, en effet ; et si nous prenons les traditions des peuples germaniques, nous y verrons l’aurore des sentimens chevaleresques.

Aux époques primitives des peuples germaniques, ces sentimens sont encore bien mêlés de barbarie ; le caractère barbare, ou, si l’on veut, héroïque, qui est à peu près le même, domine plus que le caractère chevaleresque dans les antiques traditions germaniques, par exemple dans la partie épique de l’Edda ; là sont des passions fortes ; mais rien encore qui ressemble à l’exaltation et à l’amour chevaleresque. Dans le poème des Nibelungen, on voit clairement la différence qui sépare l’époque héroïque et l’époque chevaleresque. Les Nibelungen sont composés de deux parties qui appartiennent à deux époques, et, comme diraient les géologues, à deux formations distinctes ; sur l’ancien fond païen et barbare on a étendu postérieu-