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REVUE DES DEUX MONDES.

i.
DE LA CHEVALERIE EN GÉNÉRAL.

Qu’est-ce que la chevalerie ? Il n’est pas très facile de répondre à cette question ; comment préciser par une définition rigoureuse un fait aussi complexe ? On éprouve même quelque regret à porter le scalpel de l’analyse sur une portion poétique de l’histoire de la civilisation moderne ; il en coûte d’anatomiser une fleur ; cependant, les botanistes le savent, pour étudier les fleurs, il faut se résoudre à les disséquer, et je suis obligé d’en faire autant pour la chevalerie ; je suis obligé de chercher d’abord quels sont ses principes fondamentaux, ses élémens constitutifs.

La chevalerie est un ensemble de sentimens, de mœurs et d’institutions : les sentimens en sont l’ame ; ils se manifestent par les mœurs et les institutions qu’ils produisent.

Quels sont les sentimens qui ont gouverné et animé la chevalerie moderne ? D’abord la générosité, d’où naît le respect et la protection de la faiblesse, la libéralité naît aussi de la générosité qui lui a donné son nom. Un autre sentiment domine la chevalerie, c’est le culte de la femme, de la femme envisagée comme le principe de tout bien, de toute élévation morale, excitant l’homme à la vaillance, adoucissant et purifiant ses mœurs, exaltant ses facultés morales. Dès à présent, on peut entrevoir plusieurs conséquences de ces sentimens fondamentaux : l’une d’elles est le combat désintéressé pour acquérir non pas des terres ou des richesses, mais seulement de l’honneur, sans mélange de passion égoïste ou haineuse. Deux chevaliers se rencontrent et combattent pour la beauté du fait, pour le plaisir et la gloire du combat, et pour honorer, pour glorifier leurs dames. Les tournois, les joutes sont des luttes sans inimitié entre hommes qui s’estiment, qui s’aiment quelquefois, et qui ne croisent leurs lances que pour accomplir de belles emprises d’armes, comme dit Froissart, ce dilettante de la chevalerie. Rien ne peint d’une manière plus vive et plus piquante cette générosité chevaleresque que ces deux paladins de l’Arioste qui, encore tout meurtris des grands coups qu’ils se sont portés, l’un païen et l’autre chrétien, enfourchent le même cheval et le piquent de quatre éperons.

Cet idéal que je viens d’indiquer très sommairement, sauf à y revenir, peut s’étudier dans tous les romans chevaleresques du moyen-