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LA DERNIÈRE ALDINI.

plus que sur les écussons, aux portes des palais. Je résolus de me faire religieuse, et je priai ma mère avec tant d’instances de me laisser entrer au couvent, qu’elle y consentit. Elle versa beaucoup de larmes en m’y laissant ; le prince Grimani donnait les mains à mon caprice, car depuis qu’il avait déterré, dans je ne sais quel coin de la Lombardie, une espèce de neveu qui pouvait devenir riche à mes dépens et porter avec éclat, grâce à ma dot, l’impérissable nom des Grimani, il ne songeait qu’à me rendre obéissante, et il se flattait que la dévotion allait assouplir mon caractère. Quelle ardente piété, quelle soif du martyre il eût fallu avoir pour accepter Hector ! On me retira du couvent, il y a trois mois ; le fait est que j’y périssais d’ennui, et que la discipline inflexible que j’avais à subir était au-dessus de mes forces. D’ailleurs je fus si heureuse de retourner chez ma mère, et elle de me reprendre ! Cependant six semaines de couvent avaient bien changé mes idées. J’avais compris Jésus, que je n’avais prié jusqu’alors que du bout des lèvres. Dans mes heures de solitude, à l’église, dans l’enthousiasme de la prière, j’avais compris que le fils de Marie était l’ami des pauvres laborieux, et qu’il avait méprisé avec raison les grandeurs de ce monde. Enfin que vous dirai-je ? en même temps que j’ouvrais mon cœur à de nouvelles sympathies, ce que dans mon enfance j’appelais intérieurement la honte de ma mère, se présenta à moi sous d’autres couleurs, et je n’y pensai plus qu’avec attendrissement. Puis, que se passait-il en moi ? je l’ignore ; mais je me disais : « Si je venais à faire comme maman, si je me prenais d’amour pour un homme d’une autre condition que la mienne, tout le monde me jetterait la pierre, excepté elle. Elle me prendrait dans ses bras, et, cachant ma rougeur dans son sein, elle me dirait : — Obéis à ton cœur, afin d’être plus heureuse que je ne l’ai été en brisant le mien. »

— Vous êtes ému, Lélio ! mon Dieu ! c’est une larme qui vient de tomber sur ma main. Vous êtes vaincu, mon ami ! Vous voyez que je ne suis ni folle, ni méchante ; à présent, vous direz oui, et vous viendrez me chercher demain. Jurez-le !

Je voulus parler, mais je ne pus trouver un mot, j’avais le frisson. Je me sentais défaillir. Les yeux fixés sur moi, elle attendait avec anxiété ma réponse. Pour moi, j’étais anéanti. Aux premières paroles de ce récit, j’avais été frappé de son étrange ressemblance avec ma propre histoire ; mais quand elle en vint aux circonstances qu’il m’était impossible de méconnaître, je restai confondu et ébloui, comme si la foudre eût passé devant mes yeux. Mille pensées contraires et toutes sinistres s’emparèrent de ma tête. Je vis s’agiter devant moi, pareilles