témoignent clairement que l’auteur maniait l’iambe avec une entière liberté. Quoiqu’il soit possible de noter çà et là quelques mots qui ne sont pas employés dans leur sens vrai, cependant il est juste de reconnaître que ces taches n’obscurcissent pas la splendeur des pièces où l’œil les aperçoit. L’iambe adressé aux Suisses révoltés du régiment de Chateauvieux est empreint d’une puissante ironie. Le poète célèbre le triomphe des soldats fêtés sur la motion de Collot-d’Herbois, avec une joie pleine d’emphase, et paraît d’abord prendre au sérieux la gloire des triomphateurs ; il ne tiendrait qu’au lecteur de croire qu’André Chénier sympathise avec Collot-d’Herbois, et voudrait se mêler à la foule pour applaudir et féliciter les soldats du régiment de Chateauvieux. Mais tout à coup il lance le trait qu’il avait préparé ; il laisse aller la corde qu’il avait tendue, et la flèche va frapper droit au cœur des triompateurs. Il demande quand il lui sera donné de contempler un aussi beau jour ; il interroge l’avenir d’une voix inquiète, et il se répond avec assurance : « Un jour égal au jour que je célèbre sera celui où je verrai Jourdan coupe-tête marcher à la tête de nos armées, et Lafayette monter à l’échafaud. » Certes, ce dernier vœu, cette dernière espérance, expriment nettement l’ironie au nom de laquelle le poète apostrophe les triomphateurs. Peut-être André Chéner eût-il bien fait d’ajouter à cette pièce quelques nouveaux développemens ; peut-être cette raillerie sanglante qui termine cet iambe eût-elle acquis une valeur nouvelle, si l’auteur eût pris soin de prolonger pendant quelques vers de plus les louanges adressées aux Suisses révoltés. Mais telle qu’elle est, cette pièce répond dignement à l’intention dont elle est née. Elle est simple de pensée, hardie dans l’expression, et peut servir de modèle à tous ceux qui voudront flétrir les injustes popularités. Il y a loin du style de cet iambe à la prose indécise et embarrassée de l’Avis aux Français. Autant le poète semble gêné quand il n’a pas la rime à satisfaire, autant il paraît à l’aise quand il est forcé de compter les syllabes de sa phrase et de croiser la rime à des intervalles déterminés. Il parle naturellement la langue des vers, et dès qu’il est libre de toute contrainte, dès qu’il tente la prose, il a l’air de bégayer un idiome étranger.
L’iambe où il se plaint de l’oubli et de l’abandon où le laissent ses amis, et qui se termine par des paroles de résignation, est supérieur au précédent, sinon par la franchise de la pensée, du moins par la continuité des images. Les moutons promis au charnier populaire, parmi lesquels le poète n’hésite pas à se compter, nous emportent