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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

teur n’est pas plus avancé qu’au premier ; car jusqu’à la fin de la pièce, c’est pour lui une nécessité de renoncer à comprendre complètement ce que le poète a voulu exprimer.

Un autre défaut de cette pièce sur lequel je crois utile d’insister, d’autant plus qu’il se rencontre bien rarement dans les autres œuvres d’André Chénier, c’est l’usage ou plutôt l’abus de la périphrase. Je ne crois pas qu’il y ait dans le poème des Jardins ou de l’Imagination une seule périphrase capable d’exciter autant d’impatience que la façon détournée, je devrais dire inintelligible, dont André Chénier caractérise le Jeu de Paume. Il semble que la paume n’ait pas droit de bourgeoisie dans la versification française, et qu’il soit indispensable de transformer la raquette en réseau noueux, en élastique égide. Il est curieux de voir André Chénier, le plus virgilien et souvent le plus homérique de nos poètes, lutter en cette occasion de gaucherie et de pusillanimité avec l’abbé Delille. Lui qui se distingue habituellement par la franchise et la simplicité hardie de l’expression, il s’épuise en efforts pour déguiser sa pensée, pour envelopper d’un nuage l’objet qu’il n’ose nommer. En vérité, il faut plus que de la bonne volonté pour deviner qu’il s’agit du jeu de paume, et sans le titre de la pièce, un lecteur, même clairvoyant, serait tenté d’abandonner la partie. Il serait permis, sans injustice, de chercher parmi les jeux de la Grèce antique celui qu’André Chénier a voulu désigner.

Abstraction faite du rhythme et du langage, à ne considérer que la nature et le mouvement des pensées qui se succèdent dans cette pièce, il nous est impossible de voir dans cette œuvre rien qui se puisse comparer aux idylles ou aux élégies du même auteur. Lors même en effet que ces pensées seraient clairement exprimées, lors même, que la périphrase serait absente et laisserait voir nettement les objets que le poète a voulu désigner, les sentimens qu’il s’est proposé de traduire, l’émotion éprouvée par le lecteur demeurerait encore assez tiède ; car c’est à peine s’il est permis d’attribuer au poète une émotion sincère. Préoccupé du soin de l’expression qu’il torture laborieusement et qu’il s’efforce de rendre singulière, il n’a guère le temps de ressentir l’enthousiasme qu’il veut chanter. Il a vu dans le serment du jeu de paume le sujet d’une ode, et, dédaignant les routes vulgaires, il a cherché dans le mélange de mesures diverses le moyen d’être majestueux. L’emphase a remplacé l’émotion.

Nous devons regretter qu’André Chénier n’ait pas employé plus souvent la forme de l’iambe, car les quatre pièces auxquelles il a imprimé cette forme se distinguent par une grande franchise, et