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nière dont André Chénier envisageait la nature. Il a chanté la Grèce qu’il ne connaissait que par les livres ; nous voudrions savoir comment il comprenait le paysage de la Suisse, comment il associait la réalité placée sous ses yeux à la réalité qui lui était révélée par les livres. C’est pourquoi ces notes, confuses ou précises, présenteraient au lecteur un intérêt certain.

Revenu en France, André Chénier interrompit bientôt, pour la seconde fois, les études qu’il venait à peine de reprendre. Il partit pour l’Angleterre avec le comte de la Luzerne, nommé ambassadeur. À Londres, il connut l’isolement dans toute son amertume, et il nous a laissé un éloquent témoignage de sa tristesse. Il a tracé, en quelques pages d’un style négligé, mais poignant, le tableau de ses souffrances. Enfin, en 1790, à l’âge de vingt-huit ans, il revint se fixer à Paris ; et sans doute il se fût voué sans relâche au culte de la poésie, s’il n’eût pensé qu’il devait à son pays autre chose que la gloire. Il abandonna sans hésitation mais non sans regret, la langue harmonieuse qu’il avait si laborieusement étudiée, pour s’engager dans la discussion des intérêts publics. Associé à MM. de Pange, à Roucher, il combattit tour à tour les égaremens de la démocratie et de la cour. Il serait aujourd’hui difficile de reconnaître et de rassembler tout ce qu’il a écrit sur la lutte et les espérances des partis. Mais l’Avis aux Français offre un ensemble assez développé pour nous permettre de caractériser les vues politiques d’André Chénier. En lisant cette brochure, où respire à chaque ligne un amour sincère du bien public, il est impossible de ne pas sentir que l’auteur se fie trop à l’excellence de ses sentimens, et qu’il ne s’est pas préparé par des études suffisantes à la solution des problèmes qu’il discute : il veut le bien, il espère, il appelle de ses vœux la conciliation des partis ; mais il exprime confusément ses vœux et ses espérances ; il marche au hasard, sans aucun plan arrêté. À chaque instant il revient sur ses pas, et il semble oublier la déduction de ses idées pour s’abandonner à des plaintes vertueuses, mais inutiles. Je ne parle pas du style de cette brochure, qui est loin d’égaler en correction les vers de l’auteur ; mais, à ne considérer que la pensée prise en elle-même, il est impossible de ne pas reconnaître que l’intention qui a dicté l’Avis aux Français est plus louable que l’avis lui-même, car cet avis se réduit à prêcher la paix ; et si c’est là l’œuvre d’un philanthrope, assurément ce n’est pas celle d’un publiciste. La lettre adressée par Louis XVI à la Convention trois jours avant sa mort, et rédigée par André Chénier, politiquement jugée, vaut mieux que