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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

doivent leur valeur et leur charme, il n’est guère probable que la foule consente à reconnaître et à proclamer un pareil mérite ; pour le comprendre, pour l’apprécier dignement, il lui faudrait se résigner à des études préliminaires. André Chénier s’adresse donc principalement aux hommes lettrés ; mais l’opinion unanime de ses admirateurs voit en lui un homme du premier ordre.

La naissance et l’éducation d’André Chénier s’accordent merveilleusement avec les œuvres qu’il nous a laissées ; sa mère était Grecque, d’une beauté remarquable, et d’un esprit ingénieux ; son père était consul de France à Constantinople. André, troisième fils de la famille, fut amené de bonne heure en France, et resta jusqu’à l’âge de neuf ans confié aux soins d’une tante qui habitait le Languedoc. Après avoir nourri son enfance de promenades, de rêveries et de liberté, il entra au collége de Navarre, et s’y distingua bientôt par son application. À seize ans, il lisait familièrement Homère et Sophocle ; il avait retrouvé par l’étude la patrie de sa mère. À vingt ans il entra comme sous-lieutenant dans le régiment d’Angoumois, en garnison à Strasbourg ; mais bientôt, las de l’oisiveté, il revint à Paris pour reprendre ses études et continuer, sans maître et sans guide, la lecture des modèles sur lesquels il voulait se former. Levé avant le jour, il n’avait d’autre ambition que de parcourir le cercle entier de la science humaine, et semblait croire qu’il ne fût pas permis d’aborder la poésie sans ce noviciat encyclopédique. Il n’avait pas mesuré ses forces, l’étude compromit sa santé ; et les frères Trudaine, liés avec lui d’une étroite amitié, l’emmenèrent en Suisse pour le soustraire aux dangers d’un travail excessif. Il a consigné les différens épisodes de ce voyage dans quelques notes confuses ; mais sa famille, par une discrétion jalouse, a refusé de les publier. Pour notre part, nous regrettons de ne pas les connaître, car lors même qu’elles n’offriraient aucune ordonnance, et qu’elles ne contiendraient aucune description précise des lieux parcourus par André Chénier, ce ne serait pas une raison pour les dédaigner. Il serait curieux d’étudier dans les notes confidentielles du voyageur les germes qui, plus tard, se sont épanouis en idylles, en élégies. Les œuvres que nous possédons forment tout au plus le tiers des manuscrits que l’auteur avait achevés ; et peut-être le voyage en Suisse d’André Chénier a-t-il servi à préparer des œuvres ignorées. Il manquerait alors à ces notes un complément important, le poème dont elles auraient fourni les élémens. Toutefois nous pensons que cette lecture ne serait pas sans profit, car il serait possible d’y découvrir la ma-