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ÉTABLISSEMENS LITTÉRAIRES DE COPENHAGUE.

Les premières années qu’il passa dans cette ville furent plus d’une fois traversées par d’amères inquiétudes. Toute l’Europe était alors dans un état d’agitation qui devait se faire sentir jusque dans la retraite du savant et l’atelier de l’artiste. Les grandes questions politiques étouffaient le sentiment poétique. Thorvaldsen travailla avec dévouement, avec enthousiasme, mais sans être encouragé comme il avait le droit de s’y attendre. Le terme de sa pension était expiré, et il n’avait pas encore appris à compter sur la puissance de son génie. En 1803, il venait de modeler une statue de Jason pour payer sa dette au Danemark, il avait épuisé toutes ses ressources, et il se préparait à retourner dans son pays. Il devait partir avec le statuaire Hagemann de Berlin. Déjà les malles étaient faites, le veturino attendait devant la porte, quand tout à coup Hagemann annonça qu’il ne pouvait partir, parce que son passeport n’était pas en règle. Une rencontre providentielle avait sauvé Thorvaldsen au moment où il abandonnait le concours ; une rencontre non moins heureuse le sauva une seconde fois. Le banquier Hope entra par hasard dans son atelier, aperçut la statue de Jason et en fut émerveillé. — Combien voulez-vous avoir, dit-il, pour exécuter cette statue en marbre ? — Six cents scudi, répondit le modeste artiste. — J’en donne huit cents, s’écria Hope. La somme fut immédiatement payée, et Thorvaldsen resta à Rome. C’est depuis ce temps que son génie a pris l’essor. J’ai essayé de dire quelle fut sa vie. L’avenir dira quelles furent ses œuvres.

En 1820, Thorvaldsen fit un voyage en Danemark. Il y fut reçu avec des témoignages d’affection et d’enthousiasme sans bornes C’était à qui courrait au-devant de lui ; c’était à qui pourrait le voir. Dans l’espace de vingt-cinq ans, dit son biographe, il était bien changé ; mais il avait gardé toute la fraîcheur, toute la jeunesse de ses premières affections. Son imagination ravivait tous ses souvenirs, et son cœur se dilatait à la vue des lieux où il avait vécu dans son enfance. On lui avait fait préparer une demeure et un atelier dans l’édifice de l’Académie. Quand il y entra, un homme l’attendait sous le vestibule. C’était le vieux portier qui l’avait vu venir là tant de fois. Thorvaldsen lui sauta au cou. Pendant un an il fut encensé, chanté, béni ; et quand il s’en alla, il avait une escorte comme un roi.

Depuis 1820 il est resté à Rome, mais ses compatriotes veulent le revoir. Une souscription a été ouverte en Danemark pour élever un musée où seraient placées toutes ses œuvres. Encore quelque temps, et ce monument national sera bâti, et l’on espère que Thorvaldsen viendra l’inaugurer.


X. Marmier
Copenhague, 5 décembre 1837.