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amant l’abandonnât dans une pareille circonstance ? Cet abandon était-il la cause du désespoir de Bernerette ? Ces deux suppositions paraissaient également incroyables à Frédéric, et son amie lui avait fait comprendre qu’elle ne s’expliquerait pas sur ce sujet. Il restait donc dans un doute cruel, troublé par une jalousie secrète, retenu par l’amour et par la pitié.

Au milieu de ses douleurs, Bernerette lui témoignait la plus vive tendresse. Pleine de reconnaissance pour les soins qu’il lui prodiguait, elle était, près de lui, plus gaie que jamais, mais d’une gaieté mélancolique, et, pour ainsi dire, voilée par la souffrance. Elle faisait tous ses efforts pour le distraire, et pour lui persuader de ne pas la laisser seule. S’il s’éloignait, elle lui demandait à quelle heure il reviendrait. Elle voulait qu’il dînât à son chevet, et s’endormir en lui tenant la main. Elle lui faisait, pour le divertir, mille contes sur sa vie passée ; mais, dès qu’il s’agissait du présent et de sa funeste action, elle restait muette. Aucune question, aucune prière de Frédéric n’obtenait de réponse. S’il insistait, elle devenait sombre et chagrine.

Elle était un soir au lit ; on venait de la saigner de nouveau, et il sortait encore un peu de sang de la blessure mal fermée. Elle regardait en souriant couler une larme de pourpre sur son bras aussi blanc que le marbre.

— M’aimes-tu encore ? dit-elle à Frédéric ; est-ce que toutes ces horreurs ne te dégoûtent pas de moi ?

— Je t’aime, répondit-il, et rien ne nous séparera maintenant.

— Est-ce vrai ? reprit-elle en l’embrassant ; ne me trompez pas ; dites-moi si c’est un rêve.

— Non, ce n’est pas un rêve ; non, ma belle et chère maîtresse ; vivons tranquilles, soyons heureux.

— Hélas ! nous ne pouvons pas, nous ne pouvons pas ! s’écria-t-elle avec angoisse ; puis elle ajouta à voix basse : Et si nous ne pouvons pas, c’est à recommencer.

Quoiqu’elle n’eût fait que murmurer ces dernières paroles, Frédéric les avait entendues, et il en avait frissonné. Il les répéta le lendemain à Gérard.

— Mon parti est pris, lui dit il ; je ne sais ce que mon père en dira, mais je l’aime, et, quoi qu’il arrive, je ne la laisserai pas mourir.

Il prit, en effet, un parti dangereux, mais le seul qui s’offrît à lui. Il écrivit à son père, et lui confia l’histoire de ses amours. Il oublia, dans sa lettre, l’infidélité de Bernerette ; il ne parla que de sa beauté,