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FRÉDÉRIC ET BERNERETTE.

la revoir encore une fois ? Gérard n’était pas de cet avis ; il avait pour principe de ne rien faire à demi. Du moment que Frédéric était décidé à s’éloigner, il lui conseillait de tout oublier. Que veux-tu savoir ? lui disait-il ; ou Bernerette ne te dira rien, ou elle altérera la vérité. Puisqu’il est prouvé qu’un autre amour l’occupe, à quoi bon le lui faire avouer ? Une femme n’est jamais sincère sur ce sujet avec un ancien amant, même lorsque tout rapprochement est impossible. Qu’espères-tu d’ailleurs ? elle ne t’aime plus.

C’était à dessein et pour rendre à son ami un peu de force, que Gérard s’exprimait en termes aussi durs. Je laisse à ceux qui ont aimé à juger l’effet qu’ils pouvaient produire. Mais bien des gens ont aimé, qui ne le savent pas. Les liens de ce monde, même les plus forts, se dénouent la plupart du temps ; quelques-uns seulement se brisent. Ceux dont l’absence, l’ennui, la satiété, ont affaibli peu à peu les amours, ne peuvent se figurer ce qu’ils eussent éprouvé si un coup subit les avait frappés. Le cœur le plus froid saigne et s’ouvre à ce coup ; qui y reste insensible n’est pas homme. De toutes les blessures que la mort nous fait ici-bas avant de nous abattre, c’est la plus profonde. Il faut avoir regardé, avec des yeux pleins de larmes, le sourire d’une maîtresse infidèle pour comprendre ces mots : Elle ne t’aime plus ! Il faut avoir long-temps pleuré pour s’en souvenir ; c’est une triste expérience. Si je voulais tenter d’en donner une idée à ceux qui l’ignorent, je leur dirais que je ne sais pas lequel est le plus cruel de perdre tout à coup la femme qu’on aime par son inconstance ou par sa mort.

Frédéric ne pouvait rien répondre aux sévères conseils de Gérard ; mais un instinct plus fort que la raison luttait en lui contre ces conseils. Il prit une autre voie pour parvenir à son but ; sans se rendre compte de ce qu’il voulait, ni de ce qui en pourrait advenir, il chercha un moyen d’avoir, à tout prix, des nouvelles de son amie. Il portait une bague assez belle, que Bernerette avait souven regardée d’un œil d’envie. Malgré tout son amour pour elle, il n’avait jamais pu se décider à lui donner ce bijou qu’il tenait de son père. Il le remit à Gérard, en lui disant qu’il appartenait à Bernerette, et il le pria de se charger de lui rendre cette bague qu’elle avait, disait-il, oubliée chez lui. Gérard se chargea volontiers de la commission, mais il ne se pressait pas de s’en acquitter. Frédéric insista ; il fallut céder. Les deux amis sortirent un matin ensemble, et tandis que Gérard allait chez Bernerette, Frédéric l’attendit aux Tuileries. Il se mêla assez tristement à la foule des promeneurs. Ce n’était pas sans re-