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FRÉDÉRIC ET BERNERETTE.

destiné qu’à faire un avocat de province. Tu lui plais beaucoup, et c’est peut-être un bonheur pour toi.

Malgré sa tranquillité apparente, Frédéric était ému en parlant ainsi. Bernerette garda le silence et alla s’appuyer contre la croisée ; elle pleurait et s’efforçait de cacher ses larmes ; Frédéric s’en aperçut et s’approcha d’elle.

— Laissez-moi, lui dit-elle. Vous ne daigneriez pas être jaloux de moi, je le conçois et j’en souffre sans me plaindre ; mais vous me parlez trop durement, mon ami ; vous me traitez tout-à-fait comme une fille, et vous me désolez sans raison.

Il avait été décidé qu’on passerait la nuit à l’auberge, et qu’on reviendrait à Paris le lendemain matin. Bernerette ôta le mouchoir qui entourait son cou, et tout en s’essuyant les yeux, elle le noua autour de la tête de son amant. S’appuyant ensuite sur son épaule, elle l’attira doucement vers l’alcôve.

— Ah ! méchant ! lui dit-elle en l’embrassant, il n’y a donc pas moyen que tu m’aimes ?

Frédéric la serra dans ses bras. Il songea à quoi il s’exposait en cédant à un mouvement d’attendrissement ; plus il était tenté de s’y livrer, plus il se défiait de lui-même. Il était prêt à dire qu’il aimait, cette dangereuse parole expira sur ses lèvres ; mais Bernerette la sentit dans son cœur, et ils s’endormirent tous deux contens, l’un de ne pas l’avoir prononcée, et l’autre de l’avoir comprise.

vi.

Au retour, Frédéric, cette fois, reconduisit Bernerette chez elle. Il la trouva si pauvrement logée, qu’il comprit aisément par quel motif elle avait d’abord refusé de se laisser ramener. Elle demeurait dans une maison garnie dont l’entrée était une allée obscure. Elle n’avait que deux petites chambres à peine meublées. Frédéric essaya de lui faire quelques questions sur la position fâcheuse où elle semblait réduite, mais elle n’y répondit qu’à peine.

Quelques jours après, il venait la voir et il entrait dans l’allée, lorsqu’un bruit étrange se fit entendre en haut de l’escalier. Des femmes criaient ; on appelait au secours, on menaçait, on parlait d’envoyer chercher la garde. Au milieu de ces voix confuses dominait celle d’un jeune homme que Frédéric aperçut bientôt. Il était pâle, couvert de vêtemens déchirés, ivre à la fois de vin et de colère.

— Tu me le paieras, Louise ! criait-il en frappant sur la rampe ; tu