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pour lui, c’est le meilleur homme de la terre ; mais il est trop gros.

— Trop gros ? Quelle folie !

— Tu ne l’as pas vu ; il est gros et petit, et tu as une si jolie taille !

— Et sa figure, comment est-elle ?

— Pas trop mal ; il a un mérite, c’est d’avoir l’air bon, et de l’être. Je lui suis plus reconnaissante que je ne puis le dire, et si j’avais voulu, même sans m’épouser, il m’aurait déjà fait du bien. Pour rien au monde je ne voudrais le chagriner, et si je pouvais lui rendre un service, je le ferais de tout mon cœur.

— Épouse-le donc, s’il en est ainsi.

— Il est trop gros ; c’est impossible. Allons chez toi, nous en causerons.

Frédéric se laissa entraîner, et lorsqu’il s’éveilla le lendemain, il avait oublié ses ennuis passés et les beaux yeux de Mlle Darcy.

v.

Bernerette le quitta après déjeuner, et ne voulut pas qu’il la ramenât chez elle. Il mit de côté l’argent qu’on lui avait prêté, bien résolu à payer ses dettes ; mais il ne se pressa pas de les payer. Quelque temps après il fut d’un souper chez Gérard ; on ne se sépara qu’au jour. Comme il sortait, Gérard l’arrêta :

— Que vas-tu faire ? lui dit-il ; il est trop tard pour dormir ; allons déjeuner à la campagne.

La partie fut arrangée ; Gérard envoya réveiller sa maîtresse, et lui fit dire de se préparer.

— C’est dommage, dit-il à son ami, que tu n’aies pas aussi quelqu’un à emmener ; nous ferions partie carrée, ce serait plus gai.

— Qu’à cela ne tienne, répondit Frédéric, cédant à un mouvement d’amour-propre ; je vais, si tu veux, écrire un petit mot que ton groom portera ici près ; quoiqu’il soit un peu matin, Bernerette viendra, je n’en doute pas.

— À merveille. Qu’est-ce que c’est que Bernerette ? N’est-ce pas ta grisette d’autrefois ?

— Précisément, c’est à son sujet que tu me faisais la morale.

— Vraiment ? dit Gérard en riant ; mais j’avais peut-être raison, ajouta-t-il, car tu es d’un caractère constant, et c’est dangereux avec ces demoiselles.

Comme il parlait, sa maîtresse entra ; Bernerette ne se fit pas attendre ; elle arriva parée de son mieux ; on envoya chercher une