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FRÉDÉRIC ET BERNERETTE.

travaillait Bernerette resta ouverte, et ne montra plus que les murs d’un appartement désert.

On n’éprouve de remords que lorsqu’on est coupable, et Frédéric n’avait aucun reproche sérieux à se faire, puisqu’il n’avait trompé personne, et qu’il n’avait même jamais su clairement où en étaient les choses entre la grisette et son amant. Mais il se sentait pénétré d’horreur en se voyant la cause involontaire d’une fatalité si cruelle. Que n’est-il venu me trouver ! se disait-il ; que n’a-t-il tourné contre moi l’arme dont il a fait un si funeste usage ! Je ne sais comment j’aurais agi ni ce qui se serait passé ; mais mon cœur me dit qu’il ne serait pas arrivé un tel malheur. Que n’ai-je appris seulement qu’il l’aimait à ce point ! Que n’ai je été témoin de sa douleur ! Qui sait ? je serais peut-être parti, je l’aurais peut-être convaincu, guéri, ramené à la raison, par des paroles franches et amicales. Dans tous les cas, il vivrait encore, et j’aimerais mieux qu’il m’eût cassé le bras que de penser qu’en se donnant la mort il a peut-être prononcé mon nom !

Au milieu de ces tristes réflexions arriva une lettre de Bernerette ; elle était malade et gardait le lit. Dans sa dernière scène avec elle, M. de N*** l’avait frappée et elle avait fait une chute dangereuse. Frédéric sortit pour aller la voir, mais il n’en eut pas le courage. En la gardant pour maîtresse, il lui semblait commettre un meurtre. Il se décida à partir ; après avoir mis ordre à ses affaires, il envoya à la pauvre fille ce dont il put disposer, lui promit de ne pas l’abandonner si elle tombait dans la misère ; puis il retourna à Besançon.

Son arrivée fut, comme on peut penser, un jour de fête pour sa famille. On le félicita sur son nouveau titre, on l’accabla de questions sur son séjour à Paris ; son père le conduisit avec orgueil chez toutes les personnes de distinction de la ville ; bientôt on lui fit part d’un projet conçu pendant son absence ; on avait pensé à le marier, et on lui proposa la main d’une jeune et jolie personne dont la fortune était honorable. Il ne refusa ni n’accepta ; il avait dans l’ame une tristesse que rien ne pouvait surmonter. Il se laissa mener partout où l’on voulut, répondit de son mieux à ceux qui l’interrogeaient, et s’efforça même de faire la cour à sa prétendue ; mais c’était sans plaisir et presque malgré lui qu’il s’acquittait de ces devoirs : non que Bernerette lui fût assez chère pour le faire renoncer à un mariage avantageux ; mais les dernières circonstances avaient agi sur lui trop fortement pour qu’il pût s’en remettre si vite. Dans un cœur troublé par le souvenir, il n’y a pas de place pour l’espérance ; ces deux senti-