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FRÉDÉRIC ET BERNERETTE.

ses premières folies de jeunesse lui semblaient le bonheur même. Quand Bernerette, appuyée à son bras, sautait en marchant sur le boulevart Neuf, il n’imaginait rien de plus doux que de vivre ainsi au jour le jour. Ils se demandaient de temps en temps l’un à l’autre où en étaient leurs affaires, mais ni l’un ni l’autre ne répondait clairement à cette question. La chambrette garnie, située près du Luxembourg, était payée pour deux mois ; c’était l’important. Quelquefois, en y arrivant, Bernerette avait sous le bras un pâté enveloppé dans du papier, et Frédéric une bouteille de bon vin. Ils s’attablaient alors ; la jeune fille chantait, au dessert, les couplets des vaudevilles qu’elle avait joués ; si elle avait oublié les paroles, l’étudiant improvisait, pour les remplacer, des vers à la louange de son amie, et, quand il ne trouvait pas la rime, un baiser en tenait lieu. Ils passaient ainsi la nuit tête à tête sans se douter du temps qui s’écoulait.

— Tu ne fais plus rien, disait Gérard, et ton amourette passagère durera plus long-temps qu’une passion. Prends garde à toi, tu dépenses de l’argent, et tu négliges les moyens que tu as d’en gagner.

— Rassure-toi, répondait Frédéric ; ma thèse avance, et Bernerette va entrer en apprentissage chez une lingère. Laisse-moi jouir en paix d’un moment de bonheur, et ne t’inquiète pas de l’avenir.

L’époque approchait cependant où il fallait imprimer la thèse. Elle fut achevée à la hâte et n’en valut pas moins pour cela. Frédéric fut reçu avocat ; il adressa à Besançon plusieurs exemplaires de sa dissertation, accompagnés de son diplôme. Son père répondit à cette heureuse nouvelle par l’envoi d’une somme beaucoup plus considérable qu’il n’était nécessaire pour payer les frais du retour au pays. La joie paternelle vint donc ainsi, sans le savoir, au secours de l’amour. Frédéric put rendre à son ami l’argent que celui-ci lui avait prêté, et le convaincre de l’inutilité de ses remontrances. Il voulut faire un cadeau à Bernerette, mais elle le refusa.

— Fais-moi cadeau d’un souper, lui dit-elle ; tout ce que je veux de toi, c’est toi.

Avec un caractère aussi gai que celui de cette jeune fille, dès qu’elle avait le moindre chagrin il était facile de s’en apercevoir. Frédéric la trouva triste un jour, et lui en demanda la raison. Après quelque hésitation elle tira de sa poche une lettre.

— C’est une lettre anonyme, dit-elle ; le jeune homme qui demeure avec moi l’a reçue hier et me l’a donnée en me disant qu’il n’ajoutait aucune foi à des accusations non signées. Qui a écrit cela ? Je l’ignore.