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une grande feuille de papier à dessin, ces trois mots : « Je vous adore ! » Puis il posa la feuille sur une chaise et plaça une bougie allumée de chaque côté. La belle grisette, armée d’une lorgnette, put lire ainsi la première déclaration de son amant. Elle y répondit par un sourire, et fit signe à Frédéric de descendre pour venir chercher le billet qu’elle lui avait montré.

Le temps était obscur, et il faisait un épais brouillard. Le jeune homme descendit lestement, traversa la rue et entra dans la maison de sa voisine ; la porte était ouverte, et la demoiselle était au bas de l’escalier. Frédéric, l’entourant de ses bras, fut plus prompt à l’embrasser qu’à lui parler. Elle s’enfuit toute tremblante.

— Que m’avez-vous écrit ? demanda-t-il ; quand et comment puis-je vous revoir ?

Elle s’arrêta, revint sur ses pas, et glissant son billet dans la main de Frédéric :

— Tenez, lui dit-elle, et ne découchez plus.

Il était arrivé en effet à l’étudiant, depuis peu, de passer, malgré sa sagesse, la nuit hors du logis, et la grisette l’avait remarqué.

Quand deux amoureux sont d’accord, les obstacles sont bien peu de chose. Le billet remis à Frédéric annonçait les plus grandes précautions à prendre, parlait de dangers menaçans, et demandait où il fallait aller pour se voir. Ce ne pouvait être, disait-on, dans l’appartement du jeune homme. Il fallut donc chercher une chambrette aux alentours. Le quartier latin n’en manque pas. Le premier rendez-vous était fixé, lorsque Frédéric reçut la lettre suivante :

« Vous me dites que vous m’adorez, et vous ne me dites pas si vous me trouvez jolie. Vous m’avez mal vue, et pour pouvoir m’aimer, il faut que vous me voyiez mieux. Je vais sortir avec ma bonne ; sortez de votre côté, et venez à ma rencontre dans la rue. Vous m’aborderez comme une connaissance, vous me direz quelques mots, et regardez-moi bien pendant ce temps-là. Si vous ne me trouvez pas jolie, vous me le direz, et je ne m’en fâcherai pas. C’est tout simple, et d’ailleurs je ne suis pas méchante.

« Mille baisers.
« Bernerette. »

Frédéric obéit aux ordres de sa maîtresse, et je n’ai que faire de dire que l’épreuve ne fut pas douteuse. Cependant Bernerette, par un raffinement de coquetterie, au lieu de se munir de tous ses atours pour cette rencontre, se présenta en négligé, les cheveux