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la philosophie, nous avons mis dans notre critique une rigueur moins impitoyable, une équité plus bienveillante. Mais, enfin, M. de La Mennais refuse à l’œuvre de Luther tout avenir, et ce n’est pas pour adhérer au protestantisme qu’il cesse d’être catholique.

Il faut constater les degrés qu’a franchis M. de La Mennais pour se détacher entièrement du catholicisme. Le fragment le plus important dans les Affaires de Rome est celui où, après un épilogue poétique, l’auteur donne sa conclusion raisonnée sur les différentes phases par lesquelles il a passé. On y voit qu’en 1831, soit en rédigeant l’Avenir, soit en traçant les pages qui ont pour titre Des Maux de l’Église et de la Société, et des moyens d’y remédier, M. de La Mennais croyait encore à la possibilité de réconcilier la hiérarchie catholique avec les peuples. Mais, en 1836, il déclare avoir tout-à-fait perdu cette espérance. Il condamne Rome à marcher jusqu’à la fin dans la ligne tracée ; il démontre que la papauté est irrévocablement liée au système qu’elle a cru devoir embrasser dans ces derniers temps ; et il annonce que lorsque viendra le triomphe des peuples, il ne restera plus au pontife solitaire qu’à se creuser une tombe à l’écart avec un tronçon de sa crosse brisée. La conséquence naturelle que tire expressément M. de La Mennais, est que le christianisme de l’avenir ne saurait être celui qu’on nous présente sous le nom de catholicisme.

Ne voulant pas se faire protestant, cessant d’être catholique, M. de La Mennais nécessairement devenait néo-chrétien. « Nul ne saurait prévoir, il est vrai, a-t-il encore, écrit dans les Affaires de Rome, comment s’opérera cette transformation, ou comme on voudra l’appeler, ce mouvement nouveau du christianisme au sein de l’humanité ; mais il s’opérera sans doute… Voilà ce que nous n’hésitons pas à annoncer avec une conviction profonde. » Ainsi il est clair que M. de La Mennais est poussé par ses convictions à instituer de propos délibéré dans le monde des croyances et des idées, une grande hérésie, le néo-christianisme. Arius, Pélage, Luther, ont un successeur au xixe siècle, et la France possède un illustre hérésiarque.

Quel champion lui opposera l’église ? Jusqu’ici, nous n’avons guère vu descendre dans l’arène que des hommes plus bruyans que solides. Tantôt on n’a su reproduire que les argumens usés de la vieille théologie, tantôt on a essayé d’une sorte de romantisme catholique dont les phrases prétentieuses et vides sont allées mourir, comme des traits sans force, au pied du glorieux adversaire. Nous avouons que la tâche est rude, à combattre M. de La Mennais sans sortir des liens