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LA DERNIÈRE ALDINI.

— Oh ! non, monsieur, certainement, non ! Je fais tout ce que je peux pour empêcher la signora de commettre toutes ces imprudences. Mais elle ne m’écoute pas, et si je lui disais ce qui peut et ce qui doit l’éloigner pour toujours de vous… je ne sais ce qui en arriverait !

— Que veux-tu dire ? Explique-toi.

— Hélas ! vous avez vu aujourd’hui combien elle est exaltée. C’est un caractère si singulier ! Quand on la chagrine, elle est capable de tout. Il y a un mois, lorsqu’on l’a séparée de sa mère pour l’enfermer ici, elle parlait de prendre du poison. Chaque fois que sa tante, qui est bien grondeuse à la vérité, l’impatiente, elle a des attaques de nerfs qui tournent presque à la folie, et hier soir, comme je me hasardai à lui dire que peut-être vous aimiez quelqu’un, elle s’est élancée vers la fenêtre de sa chambre, en criant comme une folle : Ah ! si je le croyais !… Je me suis jetée sur elle, je l’ai délacée, j’ai fermé ses fenêtres, je ne l’ai pas quittée de la nuit, et toute la nuit elle a pleuré, ou bien elle s’endormait pour se réveiller en sursaut et courait dans la chambre comme une insensée. Ah ! monsieur Lélio, elle me donne bien du chagrin : je l’aime tant ! car, malgré ses emportemens et ses bizarreries, elle est si bonne, si aimante, si généreuse ! Ne l’exaspérez pas, je vous en supplie ; vous êtes un honnête homme, j’en suis sûre, je le sais, et puis à Naples tout le monde le disait, et la signora écoutait avec passion toutes les bonnes actions qu’on raconte de vous. Vous ne la tromperez donc pas, et puisque vous aimez cette belle dame que j’ai vue chez vous…

— Et qui te prouve que je l’aime, Lila ? C’est ma sœur.

— Oh ! monsieur Lélio, vous me trompez ! car j’ai demandé à cette dame si vous étiez son frère, et elle m’a dit que non. Vous penserez que cela ne me regarde pas, et que je suis bien curieuse. Non, je ne suis pas curieuse, seigneur Lélio, mais je vous conjure d’avoir de l’amitié pour ma pauvre maîtresse, de l’amitié comme un frère pour sa sœur, comme un père pour sa fille. Songez donc, c’est une enfant qui sort du couvent et qui n’a pas l’idée du mal qu’on peut dire d’elle. Elle dit qu’elle s’en moque ; mais je sais bien, moi, comment elle prend les choses quand elles arrivent. Parlez-lui bien doucement, faites-lui comprendre que vous ne pouvez la voir en cachette, mais promettez-lui d’aller la voir chez sa mère, quand nous retournerons à Naples ; car sa mère est si bonne, et elle aime tant sa fille, que pour lui faire plaisir, je suis sûre qu’elle vous inviterait à venir chez elle. Peut-être qu’ainsi la folie de mademoiselle s’apaisera peu à peu. Avec des amusemens, des distractions, on lui fait souvent changer