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REVUE. — CHRONIQUE.

lui-même un peu de la faveur publique qu’il avait si complètement perdue. C’est là probablement ce que le général Cordova aurait voulu prévenir, en opérant une fusion entre lui, qui n’est pas suspect à la reine, et plusieurs hommes qui ne le sont point à l’Angleterre, et qui auraient pu contenir l’irritation inévitable du parti exalté. D’un autre côté, M. Martinez de la Rosa venait de se prononcer si formellement sur le traité de la quadruple alliance, il avait si hautement déclaré que dans son opinion ce traité obligeait la France à plus qu’elle ne fait et ne veut faire, que son avénement à la présidence du conseil, ou son entrée dans le ministère, aurait positivement annoncé une démarche dans ce sens auprès du gouvernement français, et par suite nécessité une rupture, si la démarche n’avait pas réussi, car en continuant à borner l’effet du traité de quadruple alliance au blocus de la frontière, sans vouloir aller plus loin, le gouvernement français est fort embarrassé des amis que la France compte à Madrid. Plus ils mettent d’empressement à l’appeler, plus leurs dispositions sont favorables à ses intérêts et à sa politique, plus ils aspirent à se placer sous l’influence de ces principes d’ordre et de liberté si heureusement conciliés dans notre pays, plus aussi ils nous gênent et nous contrarient. C’est une vieille maîtresse qui aime trop. À la rigueur ceux qui nous injuriaient et nous tracassaient devaient beaucoup mieux nous convenir, car ils justifiaient notre éloignement par le leur. Ce n’est pas que le ministère actuel, présidé par M. d’Ofalia, qui se rapproche des afrancesados par ses idées politiques, et soutenu par M. de Toréno, ne soit très disposé à demander humblement l’intervention ou la coopération ; mais au moins, il ne porte pas la demande d’intervention écrite sur la figure, et si, après avoir fait quelque secrète tentative pour obtenir des secours de la France, il est obligé de se contenter de quelques bonnes paroles et des états de saisies opérées par les douaniers de la frontière, il n’aura pas tellement attaché son existence à une solution différente de la question, qu’il se trouve aussitôt dans la triste nécessité de faire place à d’autres.

Le traité de la quadruple alliance et les évènemens qui ont provoqué la dissolution du ministère du 22 février ne manqueront ni d’historiens, ni de commentateurs, et des plus élevés. Aux explications si remarquables données par M. Martinez de la Rosa, et rectifiées par M. Sancho dans la discussion de l’adresse, M. Calatrava vient d’ajouter les siennes dans une lettre que publient les journaux de Madrid. Il y démontre que la suspension des mesures de coopération offertes au ministère Isturitz par M. Thiers est antérieure aux évènemens de la Granja, et ne peut avoir été motivée par ces évènemens ; que la dissolution du cabinet qui les avait conçues était accomplie le jour même où le télégraphe fit connaître à Paris la nouvelle de cette révolution, et qu’il en résulta même pour le ministère de M. Thiers un prolongement d’agonie jusqu’à la fin du mois d’août, entre les prétentions opposées du roi et de la majorité du cabinet. Ce qu’il y a de plus fâcheux dans cette lettre de M. Calatrava, c’est que le roi y est pris positivement à partie, sans violence mais avec une amertume déplorable. M. Calatrava attribue au roi, sur la question espagnole, des vues trop formellement arrêtées pour que l’Espagne obtienne jamais de la France des secours effectifs, quel que soit le parti et le ministère qui dirige les affaires à Madrid.

Le changement du ministère espagnol entraînera peut-être un changement d’ambassadeur à Paris. Le voyage du marquis d’Espéja, nommé par M. Bardaxi à ce poste important et difficile, paraît ajourné, et il serait fort