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manquer d’être pris pour ce qu’il était réellement, pour une manifestation politique. Il est vrai que la même fraction de la chambre a donné beaucoup de voix à M. Odilon Barrot pour la vice-présidence ; mais c’était moins une tactique pour faire nommer le lendemain M. Teste et M. Passy, qu’un témoignage de considération personnelle accordé à M. Barrot, pour la conduite qu’il avait tenue à l’époque de la formation du comité électoral. Du reste, nous ne croyons pas à la prétendue alliance de M. Thiers avec M. Barrot, ni à la fusion de l’opposition dynastique avec le centre gauche, et encore moins du centre gauche avec l’opposition dynastique. M. Thiers et M. Odilon Barrot ont chacun des vues particulières sur la politique intérieure comme sur la politique extérieure ; ils ne songent ni l’un ni l’autre à les abdiquer, et ils ne peuvent pas les mettre en commun. Sans récriminer sur le passé, on peut dire que ces deux hommes d’état ont des idées trop différentes sur l’organisation même du pouvoir, sur les ressorts et les moyens d’action du gouvernement, pour s’associer utilement dans l’accomplissement de la même tâche. Le premier demande beaucoup, et avec raison, pour la force et la grandeur de l’ensemble, le second sacrifierait trop volontiers la force de l’ensemble à la liberté des parties. Le premier veut surtout voir la France grande, puissante et respectée, quoique libre ; le second veut surtout la voir libre dans tous les actes de sa vie intérieure, dans tous les ressorts de son action sur elle-même. Les idées de l’un se reportent toujours à la constitution si lâche de 1791 ; les idées de l’autre à la vigoureuse et puissante organisation du consulat. M. Odilon Barrot est essentiellement un homme de théorie ; il a la rigueur et la subtilité d’esprit du légiste ; il a besoin de constituer la société sur un certain modèle, d’après certains principes bien arrêtés ; M. Thiers, c’est la pratique, l’action, le mouvement ; ce qu’il cherche d’abord à connaître, ce sont les intérêts et les forces auxquelles il peut avoir affaire dans un moment donné, et quand il les a reconnus, quand il en a calculé la puissance, il s’arrange avec eux, ce qui a toujours été toute la politique. Comme ministre du commerce, c’est l’esprit qu’il a apporté dans les questions de liberté commerciale ; et comme ministre des affaires étrangères, c’est ainsi qu’en 1836, ne pouvant faire l’intervention, il a cherché à faire la coopération, c’est-à-dire essayé d’atteindre, quoique plus lentement, le même but par d’autres moyens. Plus les hommes qui ont étudié et compris le caractère de M. Thiers y réfléchiront, plus ils seront convaincus qu’il n’y a pas d’alliance gouvernementale possible entre M. Barrot et lui, quand même le premier se rapprocherait encore davantage de la politique dont il est resté l’adversaire, bien qu’avec plus de modération et des intentions plus nettement définies.

Il s’est fait, dit-on, du côté opposé, un travail inattendu pour le renouvellement d’une autre alliance. On ajoute qu’il n’a pas réussi. Nous ignorons si le moment en viendra ; mais assurément il n’est pas venu. S’il fallait en accuser les hommes plutôt que les choses, ce ne serait pas à M. Thiers qu’en serait la faute. On est, il faut le dire, et de plus d’une part, coupable envers lui de beaucoup d’injustice et d’une bien maladroite ingratitude.

La nomination des membres de la commission de l’adresse a caractérisé, mieux encore que tout le reste, les tendances de la chambre nouvelle. On n’y compte qu’un seul doctrinaire, et les chefs du parti se sont effacés à dessein, pour faire reporter leurs voix sur des noms moins significatifs. Ainsi M. Guizot, qui, dans la formation des bureaux, avait échoué pour la présidence du deuxième bureau contre M. Bérigny, a fait voter ses amis en faveur de ce dernier pour