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Qu’on y prenne garde ! le cabinet du 15 avril aurait bientôt perdu son caractère primitif, sa signification véritable, s’il se livrait à cet esprit d’exclusion contre le centre gauche, s’il entrait en défiance de certains hommes qui lui ont été bien plus favorables qu’hostiles, qui ont la même origine que lui, et appartiennent au même ensemble de traditions et d’idées politiques. On se demande quelle force il pourrait se flatter d’obtenir, en inclinant vers le centre droit, qu’il s’est proposé d’affaiblir en prononçant la dissolution, et à qui, certes, il n’a pas tenu que l’existence du cabinet fût bien courte ; ce qu’il pourrait gagner en s’éloignant de ses premiers amis, qui aujourd’hui même n’auraient pas l’air de lui être opposés, si, libre d’opter, il n’avait pas paru pencher vers l’autre parti. Mais, dit-on, le ministère se plaint de ce que la nouvelle chambre se fractionne, comme l’ancienne, en diverses réunions qui arborent chacune un drapeau, et qui ont eu l’intention de le combattre, ou celle de lui faire la loi en le soutenant, et pour prix de leur assistance. Ainsi, à la réunion Périer, M. Guizot dirait : Nous appuierons le ministère, s’il fait ce que nous voulons ; à la réunion du centre gauche, chez M. Ganneron, M. Thiers en dirait tout autant ; et il ne se trouverait pas une autre réunion dont les membres diraient : Nous appuierons le ministère pour qu’il fasse librement et en sécurité ce qu’il veut. Il y a de l’exagération en ceci, car le ministère a son parti dans la chambre ; mais il y a aussi du vrai, et selon nous, en voici la cause, ce sera peut-être en même temps indiquer jusqu’à un certain point le remède.

Le ministère, qui a fait l’amnistie si à propos et avec tant de bonheur, semble croire que ce grand acte puisse suffire à la plus longue carrière d’un cabinet, répondre à tout, défrayer toutes les discussions, et qu’il soit destiné à clore l’ère de la politique dans notre gouvernement parlementaire. C’est trop demander à l’amnistie. L’amnistie a honoré le souverain vis-à-vis de l’Europe ; elle lui a rendu sa liberté ; elle a noblement caractérisé le système du nouveau cabinet, et prouvé dans l’homme d’état qui le dirige un instinct sûr et prompt. Maintenant est-il raisonnable de partir de là pour demander à la politique sa démission ? Nous ne le croyons pas. La politique ne veut point donner sa démission ; le gouvernement constitutionnel est son œuvre, sa plus vaste carrière, son champ le plus fécond. En certains momens, elle consentira tout au plus à se calmer, à baisser la voix, à moins exiger pour elle ; mais elle voudra rester maîtresse de son domaine, et elle ne souffrira de long-temps que les partis cessent de s’appeler des noms qu’elle leur a donnés, et de se battre pour les intérêts qu’elle leur a faits. Voilà pourquoi nous trouvons que le ministère se prive d’une grande force en désavouant trop tôt la politique, et en prétendant l’exclure du terrain qu’elle a le droit d’occuper. Non pas que ce ne fût peut-être fort beau d’abolir les classifications de partis, au profit des chemins de fer et des canaux, des réformes industrielles et des projets philanthropiques. Mais il est bien clair que maintenant ce serait tenter l’impossible, et que la politique, chassée par la porte, rentrera par la fenêtre. Eh bien ! s’il en est ainsi, pour qu’une chambre n’échappe pas à la direction d’un ministère, pour qu’elle ne se fractionne pas en coteries plus ou moins nombreuses, d’où parte l’impulsion, et qui annullent de fait un ministère, il faut que celui-ci soit toujours à la tête d’une grande idée, d’un grand intérêt politique, susceptible de passionner et de rallier autour de lui une majorité. Le gouvernement y gagnera en dignité, et le pouvoir n’en sera que plus fa-