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d’une statue que vous trouverez aisément en partant de la grille et en marchant toujours à droite. À une heure de la nuit !

Je baisai de nouveau les mains de la signora.

— Oh ! signora, signora ! dit Lila d’un ton de reproche doux et triste.

— Lila, ne me contrarie pas, dit la signora avec véhémence ; tu sais ce que je t’ai dit ce matin.

Lila parut consternée.

— Qu’a donc dit la signora ? demandai-je à la jeune fille.

— Elle veut se tuer, répondit Lila en sanglotant.

— Vous tuer, signora ! m’écriai-je. Vous si belle, si gaie, si heureuse, si aimée !

— Si aimée, Lélio ! répondit-elle d’un air désespéré, et de qui donc suis-je aimée ? de ma pauvre mère seulement, et de cette bonne Lila.

— Et du pauvre artiste qui n’ose pas vous le dire, repris-je, et qui pourtant donnerait sa vie pour vous faire aimer la vôtre.

— Vous mentez ! dit-elle avec force ; vous ne m’aimez pas !

Je saisis convulsivement son bras et je la regardai stupéfait. En ce moment la voiture s’arrêta brusquement. Lila venait de tirer le cordon. Je m’élançai à terre, et j’essayai, en saluant, de reprendre l’humble attitude de l’accordeur de piano. Mais ces deux jeunes filles, qui avaient les yeux rouges, n’échappèrent point à l’œil clairvoyant du valet de pied. Il me regarda avec une attention très grande, et quand la voiture s’éloigna, il se retourna plusieurs fois pour me suivre des yeux. Je crus bien me rappeler confusément ses traits ; mais je n’avais pas osé le regarder en face, et je ne pensais guère à chercher où j’avais rencontré cette grosse face pâle et barbue.

— Lélio, Lélio ! me dit Checchina en soupant, vous êtes bien joyeux aujourd’hui. Prenez garde de pleurer demain, mon enfant.

À minuit, j’avais escaladé le mur du parc ; mais à peine avais-je fait quelques pas dans l’allée, qu’une main saisit mon manteau. À tout évènement, je m’étais muni de ce que dans mon village nous appelions un petit couteau de nuit ; j’allais en faire briller la lame, lorsque je reconnus la belle Lila.

— Un mot bien vite, seigneur Lélio, me dit-elle à voix basse ; ne dites pas que vous êtes marié.

— Quest-ce à dire, mon aimable enfant ? je ne le suis pas.

— Cela ne me regarde pas, reprit Lila ; mais, je vous en supplie, ne parlez pas de cette dame qui demeure avec vous.

— Tu es donc dans mes intérêts, ma bonne Lila ?