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LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

probité de son agent, qu’il fait approfondir ces comptes, et l’on sait bien alors y découvrir les élémens d’une condamnation. Ainsi, en définitive, c’est le sentiment de la moralité de l’administrateur qui guide le pacha ; et les comptes ne servent guère qu’à occuper et faire vivre quelques écrivains cophtes. Tous les administrateurs dilapident, par conséquent, tous les écrivains sont inexacts ou infidèles ; mais quand cela n’excède pas certaines limites, l’administration égyptienne est dans son état normal.

Tout cet arrangement est tellement éloigné de la régularité européenne, que vouloir assimiler les choses par les noms, c’est faire de la logomachie, et rien de plus. Il semblerait au reste que le chiffre n’est pas absolument indispensable au monde administratif, puisque l’administration égyptienne marche bien sans le chiffre ; le coup d’œil d’aigle du pacha, et la connaissance profonde qu’il a de ses hommes, tiennent lieu de la donnée arithmétique. Le chiffre n’existe pas même dans la finance égyptienne, et le ministre de ce département vit au jour le jour, comme le fellah, sans savoir ce qu’il doit dépenser ou recevoir. Préoccupés du chiffre, les Européens ont cherché à élucider les mystères de l’administration égyptienne, en lui donnant une expression arithmétique. J’ai essayé un semblable travail, et j’ai dressé un budget, égyptien. Mais, je vous l’ai déjà dit, c’est une histoire, et non un budget. L’élément budgétaire entrera-t-il jamais dans l’administration égyptienne. Oui, sans doute ; mais, en y entrant, il n’en exclura point l’appréciation morale des individus. Pendant long-temps encore, cette face sera prédominante, et le chiffre sera subalternisé par le sentiment. Le laisser-aller panthéistique de l’Égyptien répugne à l’arithmétique administrative, le soleil des pyramides fond le chiffre, mais, en revanche, il illumine tellement l’instinct, qu’il devient bien plus pénétrant que le chiffre, et presque toujours aussi sûr.

D’après l’organisation la plus récente, l’administration égyptienne se compose de six grands départemens ou ministères. Le ministère de l’intérieur a dans ses attributions la police de surveillance, les marchés, les approvisionnemens, les corporations, la justice et le culte Le ministère de l’instruction publique renferme l’enseignement de l’agriculture, les haras et les bergeries, le génie, les travaux publics et les bâtimens, l’inspection des canaux, les télégraphes, les écoles et les imprimeries. Le ministère de la guerre comprend tout ce qui est relatif à la levée des régimens, leur instruction, à leur distribution, les expéditions à l’extérieur de l’Égypte, qui y tiennent garnison, les hôpitaux militaires, les fortifications. Le ministère des finances comprend les receveurs des contributions, les payeurs publics, la monnaie, la banque du Kaire. Le ministère de la marine a dans son ressort la construction des navires et les arsenaux, les troupes de mer et la flotte. Le ministère des affaires étrangères et du commerce a la direction des schounas, les apaltes et les douanes, les ventes de produits et les enchères, les rapports diplomatiques avec les consuls, et la correspondance avec l’Europe.