Il y a en France 400,000 soldats, sur 35 millions de population ; il y a en Égypte 120,000 soldats, sur 2,500,000 ames de population. Cela fait 1 soldat sur 87 personnes en France, et 1 soldat sur 21 personnes en Égypte. C’était le pied de guerre de l’Empire. Aussi, tandis qu’en France le budget de la guerre n’est que le cinquième du budget général, il s’élève en Égypte à plus du tiers, quoiqu’un soldat coûte quatre fois moins. Il est évident que si la guerre était aussi chère en Égypte qu’en France, l’Égypte serait depuis long-temps ruinée. Sa population, et surtout son agriculture, n’en souffrent pas moins d’un pareil pied de guerre.
Vous voyez qu’il y a un excédant des recettes sur les dépenses de 5,810,000 piastres, et que par conséquent le trésor égyptien est dans un état satisfaisant. C’est cet excédant qui entre dans les coffres particuliers du pacha, et qui les a, dit-on, garnis depuis une quinzaine d’années, de manière à faire face aux évènemens imprévus.
De tous les budgets connus (j’entends les budgets de nations), le budget égyptien est à peu près le seul où ne figure pas l’inévitable chiffre de la dette publique. Pourtant, malgré cette absence de dette publique, malgré l’excédant des recettes sur les dépenses, il y a toujours des retards et des lenteurs dans les paiemens que fait le trésor. Cela tient à l’absence complète de mécanisme financier et à l’irrégularité du système monétaire. Donnez à l’Égypte de bonnes institutions financières, et employez à l’agriculture les bras et les capitaux employés à la guerre, vous en ferez le plus riche pays du monde.
Il faut dire enfin que le budget égyptien n’a rien de fixe, soit dans son assiette générale, soit dans le chiffre des divers articles ; car l’administration dépend toute entière de la volonté du chef, qui lui fait subir de fréquentes modifications. Ceci me conduit naturellement à vous présenter quelques réflexions sur l’état actuel de l’administration en Égypte.
La loi, ou la volonté arrêtée dans la lettre, prédomine chez les nations d’Occident ; le gouvernement, ou la volonté mobile dans l’homme, l’emporte chez les peuples orientaux. L’administration des nations européennes est montée comme une horloge ; c’est une machine merveilleusement bien organisée, mais sans vie progressive. En Égypte, l’administration n’a pas la même régularité, la même fixité ; toute entière dans la main du souverain, elle est changeante comme sa volonté, comme les évènemens. Le gouvernement n’est point emprisonné dans l’administration ; mais il improvise et détruit les normes administratives, selon ses vues et les exigences de sa position. Cette mobilité a sans doute des avantages ; elle permet de s’accommoder aux circonstances, à l’imprévu de la vie sociale ; elle facilite la prompte répression des abus et l’introduction des progrès ; mais, poussée à l’extrême, elle a ses inconvéniens ; et le corps administratif perd en intensité et en énergie ce