Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/99

Cette page a été validée par deux contributeurs.
95
STATISTIQUE PARLEMENTAIRE.

voir encore au fond du cœur certaine opinion frisant de près l’hérésie. Par son éducation, par ses souvenirs, M. Duchâtel appartient aux traditions de l’empire. Plusieurs fois ce souvenir du passé s’est réveillé en lui ; plusieurs fois les hommes qui le connaissent et qui l’observent, ont surpris dans ses actes, dans ses paroles, je ne sais quel mouvement d’impatience, comme s’il eût voulu secouer la chaîne dorée qui le lie à la doctrine, et reprendre son essor par une autre voie. D’ailleurs, M. Duchâtel, à qui sa jeunesse, ses connaissances spéciales assuraient une position, doit comprendre aujourd’hui qu’il s’est trop hâté de demander un vote à la chambre, un portefeuille à la fortune. Mais nous ne le croyons pas tellement engagé dans le parti auquel il appartient aujourd’hui, qu’il ne puisse s’en affranchir peu à peu, et se préparer en dehors de la doctrine un avenir plus durable.

M. de Rémusat, sur lequel M. Guizot a fondé de grandes espérances, est un homme d’une intelligence fine et déliée, d’un esprit séduisant et éclairé. Homme du monde plutôt qu’homme politique, c’est par la conversation qu’il a commencé à se faire remarquer, c’est par le salon qu’il est arrivé au sous-secrétariat. Ceux qui l’ont vu le plus souvent et de plus près, savent qu’il est habile à saisir une idée, à étendre à la fois son point de vue sur plusieurs questions. Mais il manque à cette souplesse d’esprit, dont M. de Rémusat est doué, plus de précision, plus de fixité. On l’a nommé sous-secrétaire d’état, et beaucoup de personnes se sont demandé à quel titre. Doit-il être le surveillant, le tuteur du ministre, peut-être même le ministre réel ? Non, nous attribuons sa nomination à une autre cause. M. Gasparin n’est nullement orateur ; M. de Rémusat a quelquefois laissé espérer qu’il le serait. Nous le croyons destiné à représenter le ministère de l’intérieur à la tribune, à devenir l’organe de ce département. Le temps nous apprendra si cette parole, animée dans le salon, ne fléchira point devant une grande assemblée.

Dans cet empire doctrinaire, où chacun a pris ainsi sa part, M. Saint-Marc Girardin s’est réservé la politique extérieure. Comme il sait l’allemand, et qu’il lit sans trop de difficultés la Gazette d’Augsbourg dans l’original, c’est à lui qu’on confie tout ce qui a rapport aux états du Nord, à partir de l’Elbe jusqu’à la Neva inclusivement ; et maintenant qu’il a parcouru les bords du Danube, il prendra encore dans son apanage toute la Hongrie. Si le choléra ne l’arrête pas l’année prochaine, nous sommes sûrs de le voir conquérir l’Orient. Du reste, il n’a pas toujours suivi de la manière la plus exemplaire le mot d’ordre de M. Guizot. Il a parfois montré certains airs d’indépendance qui lui allaient assez bien. Dans plusieurs circonstances, il a manifesté, sur les questions de politique extérieure, des idées hardies qui contrastaient singulièrement avec celles du chef de la doctrine. Quelquefois aussi il a porté dans son cours une tendance de li-