Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/92

Cette page a été validée par deux contributeurs.
88
REVUE DES DEUX MONDES.

M. Guizot ne développe pas volontiers un autre thème que l’apothéose de la raison. Reste à savoir si le xixe siècle, si la France contemporaine acceptera l’éloge que lui décerne M. Guizot ; reste à savoir si la génération à laquelle nous appartenons voudra bien ne voir, dans la génération qui nous a précédés, qu’une foule enthousiaste, imprévoyante, exagérée dans ses vœux comme dans ses espérances, entêtée dans l’impossible, incapable de fonder des institutions durables. Il est au moins permis de discuter cette opinion, et dès que cette opinion est discutée, il n’est plus nécessaire d’attribuer à notre temps la raison suprême, la souveraine clairvoyance. Si sages que nous soyons, nous ne sommes plus obligés de nous placer au rang des dieux. Si serein et si pur que soit le jour au milieu duquel nous apparaît l’avenir, nous pouvons nous abstenir de nous adorer ; la modestie n’a plus rien de messéant ni de pusillanime ; la conscience de notre mérite ne nous prescrit pas d’entonner un cantique en l’honneur de nous-mêmes ; tout en admirant dans un saint respect la splendeur de nos vertus, nous ne sommes pas forcés de fermer les yeux pour n’être pas éblouis. Mais une pareille modestie ne ferait pas le compte de M. Guizot ; car il ne faut pas s’y tromper, le récipiendaire, en louant le xixe siècle, en remerciant la génération présente de toutes les bonnes actions qu’elle a faites, de toutes les choses excellentes qu’elle a voulues, goûtait le plaisir divin de se complimenter lui-même, de se féliciter dans le passé d’hier, de se glorifier dans l’avenir de demain. S’il consent à proclamer le triomphe de la raison, c’est à la condition que la raison se résume en lui ; s’il sait bon gré à notre temps de ne pas persévérer dans toutes les espérances du siècle dernier, c’est qu’il personnifie en lui-même l’impartialité, la pénétration ; c’est qu’il est l’expression absolue de la sagesse ; c’est que chacune de ses paroles contient un enseignement ; c’est que toutes les pensées qui s’échappent de ses lèvres devraient être recueillies comme la manne céleste. Notre siècle vaut mieux que le siècle passé, parce que M. Guizot est de notre siècle, ou du moins parce que le siècle passé n’a pu profiter des avis de M. Guizot. Si la constituante et la convention avaient pu consulter le récipiendaire, nous n’aurions à déplorer ni les théories impraticables, ni l’impitoyable énergie du siècle dernier ; si le consulat et l’empire avaient pu interroger M. Guizot sur l’in-