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ACADÉMIE FRANÇAISE.

sépare la véritable éloquence de la déclamation hautaine et diffuse. M. Guizot, lors même qu’il a raison, ne peut réussir à émouvoir ; M. Berryer, lors même qu’il défend la plus mauvaise cause, trouve moyen de produire une impression profonde. Pourquoi ? C’est que M. Berryer a toutes les qualités d’un grand orateur, tandis que M. Guizot prend la tribune pour une chaire, et perd son temps à expliquer, avec des circonlocutions dédaigneuses, ce qu’il devrait affirmer avec l’accent de la conviction. M. Berryer se sait, mais ne s’avoue pas supérieur à son auditoire, et traite avec lui sur le pied d’une parfaite égalité. M. Guizot, en parlant à la chambre comme aux bancs d’une école, se condamne à la verbosité, aux redites perpétuelles, et n’atteint pas l’éloquence. Pourquoi donc l’Académie française a-t-elle choisi M. Guizot ? N’est-ce pas parce que M. Guizot semble depuis six ans aux esprits paresseux, c’est-à-dire au plus grand nombre, un ministre inévitable ? Il est si simple et si commode d’accepter une croyance toute faite, que la foule, et l’Académie qui suit la foule, ajoutent volontiers foi à l’excellence politique de M. Guizot, par cette seule raison que M. Guizot proclame à tout propos son excellence politique. M. Guizot est si sûr de lui-même, que ni la foule ni l’Académie n’osent douter de lui. Mais quand il serait vrai, et nous ne le croyons pas, que M. Guizot fût un ministre inévitable ; quand la royauté, en le perdant, serait livrée sans retour à la démocratie et réduite au plus complet effacement ; quand les libertés publiques, privées de ce modérateur impérieux, courraient le danger d’une ruine irréparable ; quand la cour et la nation ne pourraient se passer de lui, la nécessité politique de M. Guizot ne saurait transformer son enseignement verbeux en véritable éloquence. Quand il serait le premier homme de la France, il lui resterait encore, pour entrer à l’Académie française, à devenir grand orateur ou grand écrivain. Or, à nos yeux, M. Guizot n’est qu’un esprit éminent, mais il n’est ni orateur ni écrivain ; il ne possède pas même les élémens de l’éloquence ou du style.

M. Guizot avait à peindre et à juger la philosophie du xviiie siècle. Assurément, pour un orateur qui eût bien voulu prendre le temps d’étudier un pareil sujet, ou qui eût été depuis long-temps préparé à le traiter, c’eût été une belle occasion d’élargir et de renouveler les formes du discours académique. Il eût été digne d’un