Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.
78
REVUE DES DEUX MONDES.

même empressement à tous les élémens d’une époque donnée, ou plutôt il prend plaisir à circonscrire le champ de ses études, en déterminant a priori les élémens qu’il se propose d’étudier. L’esprit de l’auteur, entraîné par une ambition singulière, se suppose toujours préexistant aux évènemens qu’il interprète ; avant de les décomposer en tant que faits accomplis, il les décompose en tant que faits possibles, et, de cette manière, il arrive naturellement à supprimer plusieurs élèmens de la réalité. Entre l’histoire, telle que la conçoit M. Guizot, et l’histoire telle qu’elle se manifeste par les évènemens, il y a la même différence qu’entre la mécanique rationnelle et la mécanique appliquée à un genre déterminé de corps. Mais les formules de la mécanique rationnelle permettent de résoudre tous les problèmes de la mécanique appliquée, tandis que l’histoire a priori de M. Guizot est souvent muette pour l’explication de l’histoire a posteriori, c’est-à-dire de la véritable histoire. L’étude de ses leçons sur l’histoire de la civilisation n’est pas une étude sans profit ; loin de là. Mais il ne faut y chercher ni l’histoire proprement dite, ni surtout le style. Car le professeur, comme s’il voulait dissimuler l’absence des faits en multipliant les formes de sa pensée, puise à pleines mains dans le vocabulaire, et semble craindre de n’être jamais assez clair. Mais chez lui la multitude des formes ne sert pas à l’élucidation des idées ; la lumière dont il les environne est une lumière abondante, mais diffuse, qui dévore ou plutôt qui abolit les contours, et qui engloutit toutes les vérités particulières dans une vérité générale, indéterminée, insaisissable. Assurément, l’histoire de la civilisation ne devait pas ouvrir à l’auteur les portes de l’Académie française.

Si la troisième classe de l’Institut veut demeurer fidèle à sa mission, si elle veut vivre par elle-même et ne pas accepter une vie d’emprunt, elle n’a évidemment qu’un seul parti à prendre, c’est de se recruter parmi les hommes littéraires, c’est-à-dire parmi les écrivains qui ont fait de la langue une étude sérieuse, et qui, à l’aide de la parole, ont accompli des œuvres élégantes ou sévères. L’histoire et la philosophie se prêtent aussi bien que la poésie à toutes les grâces de la langue ; mais l’histoire et la philosophie proprement dites sont représentées à l’Académie des Inscriptions et à l’Académie des Sciences morales. C’est donc parmi les romanciers et les poètes lyriques ou dramatiques, en un mot parmi