Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/784

Cette page a été validée par deux contributeurs.
778
REVUE DES DEUX MONDES.

qui mettent ses rouages en mouvement. Là, comme ailleurs, il faut se réjouir du bien, n’importe d’où vient sa source. Or, ce que nous voyons est un progrès, c’est une amélioration réelle. Quel que soit le motif de ce changement, il paraît certain que l’opposition systématique, qui voulait qu’un ministère eût tort tous les jours, à toutes les heures, dans tous ses discours et dans tous ses actes, soit qu’il fît marcher une armée ou confectionner un pont, percer une route ou signer un traité, soit qu’il se crût en droit de destituer un fonctionnaire ou d’en créer un, que cette opposition n’est plus supportable aujourd’hui. Il est donc avéré que l’opposition doit être juste, si elle veut qu’on l’écoute. Nous savons aussi bien que personne que c’est là simplement une tactique ; mais, enfin, la tactique est bonne, et l’opposition s’honore en l’adoptant.

Quoi qu’il en soit, la loi de non-révélation sera discutée. Le Journal de Paris a dit, avec plus d’esprit et de verve que de justesse, que la loi de disjonction a été tuée par le silence de M. Guizot et par la parole de M. Molé ; il lui est peut-être réservé de voir ces paroles démenties par les faits, et la loi de non-révélation périr par une marche contraire. Peu nous importe que ce pressentiment se réalise, car le ministère ne nous inspirera aucune inquiétude tant que M. Molé le couvrira de son nom. M. Molé agira dans ce cabinet, nous le pensons, comme il a agi à la chambre dans cette mémorable discussion. Ainsi qu’il se levait pour protester contre les amendemens qui étaient contraires à la constitution, ainsi il se lèverait sans doute dans le conseil pour s’opposer à toutes les infractions contre la Charte. C’est là son rôle ; il n’en a pas d’autre, et il ne saurait y faire défaut sans perdre aussitôt son influence dans le conseil, sa position dans la chambre, et manquer à la fois aux traditions de famille qui doivent le guider. Si nous ouvrons les mémoires du temps, nous verrons Mathieu Molé défendre la loi, tantôt dans le parti des princes, tantôt dans le parti de la cour, le centre gauche et le centre droit de l’époque, et se rendre ainsi propre à modifier tour à tour les deux partis et les préserver de leurs excès, ainsi que pourrait faire alternativement son successeur dans un ministère de centre gauche, où ses opinions le placeraient comme un élément de centre droit, et comme il devrait faire, comme il fait peut-être dans le présent ministère, où il représente assurément le centre gauche, avec sa modération qui n’est pas dépouillée d’énergie, et sa fermeté qui n’est pas revêtue de formes acerbes.

Avec l’autorité de son nom et de sa conduite, M. Molé peut donc, par sa parole, décider la chambre à voter pour la loi de non-révélation, dont il n’est pas l’auteur. Ce jour-là M. Molé aura sauvé son ministère, et sans doute il y prendra l’influence qui lui serait bien due. Qu’on ne dise pas que nous voulons tracer deux sillons à ce ministère, ou le diviser par une vieille tactique. Nous n’y songeons pas ; mais il y a une évidence qu’on ne peut se refuser à reconnaître. C’est la présence réelle de deux nuances d’opinion dans le conseil. Lisez la discussion de l’adresse, pesez les paroles de M. Molé et les paroles de M. Guizot, là est la nuance. Le refus d’admettre M. de Montalivet au ministère de l’intérieur, lors de la for-