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cret, des sons inouis jusqu’à présent, et tels qu’il semblait impossible que cet instrument en pût jamais exhaler de si beaux, il garde une attitude impassible. Rien de ce qu’il médite ne transpire au dehors. Ses sensations vont droit du cœur au clavier sans jamais se promener sur son visage. C’est un jeu clair, régulier, parfait : point de trouble ni de confusion ; toujours la mesure. Dans ses plus grands emportemens, vous entendez vibrer la moindre note, vous comptez chaque goutte de cristal dans le torrent mélodieux. L’effet que produit Thalberg est immense, et d’autant plus glorieux pour lui, qu’il ne le cherche jamais au-delà des plus sévères conditions de son art. Les partisans du geste et de la pantomime, ceux qui ne s’émeuvent que lorsqu’on les secoue rudement par les épaules, prétendent que la manière de Thalberg est dénuée de sentiment. C’est là une opinion au moins fausse, et dont le succès même de cette manière démontre le peu de valeur. En effet, un pianiste qui se contenterait de grouper des notes entre elles sans les animer du souffle de son inspiration, ferait à peu près le travail d’un homme qui enfile des perles, et je doute que le public se laissât divertir long-temps par cet exercice puéril.L’impassibilité, qui ne se dément pas un instant au milieu d’une exécution éclatante et sympathique, est un signe de puissance, voilà tout. Thalberg rappelle aujourd’hui les maîtres de la grande école du piano. C’est ainsi que devait en jouer Mozart, avec inspiration, mais aussi avec tact et réserve, dans une époque où le talent et la simplicité s’alliaient encore ensemble à merveille.


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