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REVUE MUSICALE.

venir du public, leur idole ; et ces décors même, qui semblent peints à votre gloire, si votre musique ne les domine complètement du premier coup, attirent sur eux toute l’attention de la multitude et vous écrasent sous leur poids et leur magnificence. ? À mon sens, les musiciens ne se préoccupent point assez d’une pareille épreuve ; tout ce qui leur vient à l’esprit leur semble bon ; on dirait qu’ils composent pour le théâtre de la Bourse, où l’importance d’une défaite est d’autant moindre que les occasions de tenter la fortune, c’est-à-dire le public, peuvent être plus rapprochées. Aussi qu’arrive-t-il ? S’il s’agit d’un talent déjà consacré maintes fois par le succès, le public l’accueille avec froideur ; et ne manque pas de lui tenir compte de sa négligence ; et si c’est l’œuvre d’un homme qui n’a rien produit encore d’important, d’un musicien inconnu jusque-là, à peine si l’on s’informe de son nom, et le triste maestro s’en va comme il était venu, ignoré de tous. Ce ne sont point là des échecs qui se réparent. À l’Opéra, le tour ne revient qu’à des intervalles éloignés, et pour ceux qui n’ont pas su le saisir une première fois, il ne revient jamais. Pour le musicien qui écrit une partition destinée à l’Opéra, tous les jours doivent être des jours de soleil, toutes les heures de travail des heures d’inspiration.

De notre temps, un seul homme paraît avoir compris la gravité de cette affaire. Celui-là ne s’épargne ni travail, ni souci ; rien n’échappe à son enthousiasme ; il élabore son œuvre avec une sublime patience ; quelle inquiétude ! mais aussi, le jour de la représentation, quel triomphe ! Demandez-lui un peu s’il se souvient de ce qu’il a souffert, à cette heure où le public le proclame vainqueur, et s’il regrette ses angoisses passées dans ce tumulte enivrant, au milieu duquel il oublie s’il y a des gloires plus splendides que la sienne. Le succès l’invite à la peine ; le lendemain il laisse là la gloire et l’encens du travail accompli pour reprendre les fatigues d’un travail nouveau, tant sa nature insatiable l’entraîne loin de la quiétude. Il ne se repose pas dans le succès, il le traverse en y puisant de nouvelles forces pour l’avenir. À l’Opéra, les choses ne se combinent jamais de telle sorte que le succès résulte d’un ensemble harmonieux. Ou c’est la musique qui réussit, ou c’est la mise en scène. Voyez les Huguenots. On n’a rien épargné, on ne s’est pas fait faute du vieux Paris, si fort en honneur. Eh bien ! qui a pris garde à tout cela ? Dira-t-on que cet appareil de mise en scène ait contribué le moins du monde à ce succès immense qui dure encore ? Non pas certes. Grâce à Dieu, il ne s’est agi cette fois ni de bonnes dagues ni de vieilles casaques de velours, mais tout simplement d’une musique large et fortement tissue, d’une grande et noble partition.

Pour Stradella, c’était tout le contraire. Bien avant la représentation,