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TROISIÈME LETTRE.

au fond l’unique pensée du ministère ! gracier les agens de la restauration, c’était là son but ; le reste n’est qu’un prétexte ; on ne s’intéresse qu’à ces hommes, etc., etc. »

Ne vous semble-t-il pas, monsieur, quand vous assistez à ces sortes de tapages, dont les journaux étourdissent un ministre, ne vous semble-t-il pas voir un homme qui entreprend de traverser la Seine sur une corde tendue, à laquelle corde pend une centaine de chats ? Je vous demande si les chats aiment l’eau, et veulent choir, et quel vacarme, et les agréables secousses ! En guise de balancier, le pauvre diable a dans les mains un essieu de charrette, pesant cinq cents livres ; belle entreprise à se rompre le cou ! Mais il suffit du nom qu’on donne aux choses : l’essieu s’appelle le timon de l’état, cela suffit pour qu’on se l’arrache ; quant aux chats, c’est-à-dire aux journalistes, c’est une autre affaire ; ils ne s’arrachent que des brins de ficelle, et se sentent furieusement échaudés ; car l’essieu dont je vous parle n’est rien moins que fer rouge, ardent, usé dans la fournaise ; cependant le peuple bat des mains, et l’homme avance, en tremblant s’entend, et prudemment, muni de blanc d’Espagne ; mais on lui crie : « Avancez donc ! vous ne bougez pas ! vous êtes un Terme ! » S’il lâchait tout et sautait dans l’eau, vous en étonneriez-vous, monsieur ? oui bien moi, car nous ne sommes guère au temps où Sylla sortait de sa pourpre.

Poursuivrons-nous plus avant cette thèse, et descendrons-nous au feuilleton ? On pourrait peut-être deviner comment parfois il se fabrique ; ce n’est pas avec quoi les abeilles font leur cire. Il y a deux façons pour cela. L’une, incontestablement la meilleure (c’est aussi la plus usitée), est d’appuyer son coude sur sa table, d’étendre la main, et de laisser couler doucement tout ensemble encre, préceptes, doctrines, injures, anachronismes et bévues. À peine ainsi court-on le risque de laisser échapper de ces légères taches qui ne choquent point le lecteur parisien, rompu à la chose, et qui, au contraire, font ressortir le beau. Ce sera, par exemple, que vous aurez avancé que Racine florissait sous Louis IX, ou qu’Agamemnon est l’auteur de l’Iliade. Mais, je vous dis, cela ne fait rien ; on nous y a dès l’enfance habitués, et nous n’avons point de livres sous la main où aller rechercher les dates. Minuties que les dates ! L’autre façon est beaucoup plus aride, profonde, ardue,