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TROISIÈME LETTRE.

viennent peut-être pas. Mais enfin, quand on est notaire, on n’est pas journaliste, ce sont deux choses différentes, et quand on est quelque chose, si peu que ce soit, on veut être appelé par son nom.

L’âge d’or, monsieur, ne fleurit pas plus à La Ferté-sous-Jouarre qu’ailleurs ; quand nous allons au jeu de boule, on nous tourne le dos de tous les côtés : « Voilà, dit-on, les beaux esprits, les écrivains, les gens de plume ; regardez un peu ce M. Cotonet qui écarte tout de travers au piquet, et qui se mêle de littérature ! ne sont-ce pas là de beaux aristarques ? etc, etc. » Tout cela est fort désagréable. Si nous avions prévu ce qui arrive, nous n’aurions certainement pas mis notre nom en toutes lettres, ni celui de notre ville ; rien n’était plus aisé au monde que de mettre seulement La Ferté, et là-dessus, allez-y voir ; il n’y en a pas qu’une sur la carte : La Ferté-Alais, La Ferté-Bernard, La Ferté-Milon, La Ferté-sur-Aube, La Ferté-Aurain, La Ferté-Chaudron ; ce n’est pas de Fertés que l’on chôme. Mais Cotonet n’est qu’un étourdi ; c’est lui qui a recopié nos lettres, et il n’y a pas à s’y méprendre. La Ferté-sous-Jouarre y est bien au long, sous-Jouarre, ou Aucol, ou Aucout, c’est tout un, Firmitas Auculphi. Et que diable voulez-vous y faire ?

Mais il nous est venu, en outre, une idée qui nous inquiète bien davantage ; car enfin, mépriser les railleries du vulgaire, nous savons que les grands hommes ne font autre chose ; mais s’il était vrai, nous sommes-nous dit, que nous fussions réellement devenus journalistes ? Deux lettres écrites ne sont pas grand péché ; qui sait pourtant ? nous n’aurions qu’à en écrire trois ; pensez-vous au danger que nous courons, et quel orage fondrait sur nous ? Nous avons connu un honnête garçon à qui ses amis, en voyage, avaient persuadé que tout ce qu’il disait était un calembour : il ne pouvait plus ouvrir la bouche que tout le monde n’éclatât de rire, et, quand il demandait un verre d’eau, on le suppliait de mettre un terme à ses jeux de mots fatigans. L’histoire ne parle-t-elle pas de gens à qui on a fait accroire qu’ils étaient sorciers, et qui l’ont cru, c’est incontestable, d’autant que, pour le leur prouver, on les a brûlés vifs ? Il y a de quoi réfléchir ; car, notez-le bien, pour nous mettre en péril, il ne serait pas besoin de nous persuader à nous-mêmes que nous sommes journalistes ; il suffi-