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NANTES.

avions vu jusqu’alors ne nous avait donné aucune idée de ce que nous allions voir. Dès l’entrée, nous fûmes frappés par l’air de calme affectueux qui régnait partout ; on eût dit l’intérieur d’une famille heureuse. On devinait facilement qu’une tendre et spirituelle prévoyance avait présidé à cet ordre, et qu’il y avait là des yeux et des cœurs de mère qui veillaient. Nous suivîmes les exercices entremêlés d’histoires morales et de conversations instructives ; nous examinâmes les différens travaux des enfans, qui tous étaient occupés selon leur âge : les plus petits parfilaient. L’heure de la récréation arriva bientôt (car les leçons sont répétées, mais courtes chaque fois), et tous s’élancèrent dans le préau. Des jouets, appartenant à la salle d’asile, furent distribués aux enfans dont les familles étaient trop pauvres pour en acheter. Nous vîmes alors combien l’heureuse influence d’une éducation plus intelligente se faisait déjà sentir. Ces enfans, la plupart couverts de haillons, étaient bienveillans et polis l’un pour l’autre. Presque tous avaient déjà dépouillé cette brutalité hargneuse que donnent les grossiers amusemens de carrefour. Ils n’avaient plus rien du caractère taquin et malfaisant qui constitue le gamin ; chez eux, les instincts vagabonds de la rue avaient fait place aux habitudes d’ordre et d’association. Nous pûmes juger, avant de nous retirer, combien ce progrès moral était déjà avancé. Une dame attachée au bureau de bienfaisance, et bien connue de tous les enfans pour ses libéralités, arriva au moment du goûter. Après avoir causé avec plusieurs de ses petits protégés, elle les réunit tous en cercle, et faisant approcher une femme qui portait un grand panier de fruits :

— Mes enfans, dit-elle, je veux vous faire un présent ; choisissez de ces fruits à partager entre vous, ou de deux habillemens neufs pour les plus pauvres de vos camarades.

Tous les enfans élevèrent à la fois leurs petites mains et leur pain sec :

— Deux habillemens neufs, madame, deux habillemens neufs ! crièrent-ils…

— C’est bien, mes enfans.

Et la dame fit emporter les fruits. Pas un regard ne se détourna pour les voir s’en aller. J’aurais volontiers embrassé ces petits Brutus chrétiens, qui venaient d’offrir leur gourmandise en holocauste à leur charité.