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MADAME DE PONTIVY.

rait, la conjurant de rester ainsi, et qu’il l’aimait pour telle, et qu’il s’estimerait éternellement malheureux comme objet d’une passion moindre. Elle le croyait un moment ; mais le lendemain elle revenait à la charge, et disait : « Hier, dans mon amour de vingt ans, je croyais qu’il n’y a rien d’impossible de la part d’un homme qui aime pour l’objet aimé. Mon ami, c’était une illusion. Aujourd’hui j’ai vieilli, j’ai réfléchi, je me suis donné tort ; et vous n’avez, mon ami, à recevoir aucun pardon, n’étant en rien coupable. » La combattant sur ce découragement qu’il sentait injuste, il obtenait de meilleurs aveux, et négligeait ces petits souvenirs accumulés, les croyant dévorés chaque fois par la passion survenante. Il comptait de toute certitude sur elle, sur son amour toujours le même, quand un automne arriva.

Mme de Pontivy, emmenée par sa tante dans une campagne éloignée, dut ne pas voir durant tout ce temps M. de Murçay, qui (en refroidissement d’ailleurs avec Mme de Noyon pour quelques sorties un peu vives contre l’esprit persécuteur), se confina de son côté dans une terre isolée, autre que celle où il avait reçu une fois son amie. C’est alors que, sans cause extérieure, et en ce calme triste et doux, une révolution faillit arriver dans leur amour. Les lettres de Mme de Pontivy étaient plus rares, plus abattues ; tous les souvenirs attiédissans s’accumulaient en elle de préférence, et lui devenaient son principal aliment. Une sorte de scrupule de convenance lui naissait aussi, comme prétexte qu’elle se donnait involontairement dans ses sentimens un peu froissés. L’idée de sa fille, encore au couvent, mais qui n’avait plus un très grand nombre d’années pour en sortir, l’idée aussi de son mari, alors en Amérique, et qui avait peu de chances sans doute, peut-être même assez peu de fantaisie de revenir en France, mais dont pourtant, depuis la mort du régent, on pouvait parler à M. le Duc, ces flottantes pensées s’élevaient et grossissaient en elle comme des vapeurs, dans le vide où elle se sentait. Elle n’y résistait pas, et s’en laissait entourer, réservant seulement en son sein l’affection profonde. « Oh ! mon ami, lui écrivait-elle, quelle femme riche d’amour et de flamme est morte en moi ! Ne croyez pas, mon bien cher ami, que je puisse ne plus vous aimer ; au fond et au-dessous vous êtes toujours l’être nécessaire à mon existence… Mais votre