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MÉMOIRES DE LAFAYETTE.

juste de comparer les jacobins d’alors avec ce qu’ils furent depuis ; néanmoins on doit dire qu’il y avait déjà d’immenses inconvéniens à leur reprocher, depuis l’admission inconsidérée de beaucoup d’anarchistes[1]. Une partie du côté gauche de l’assemblée nationale s’abstenait depuis long-temps d’y assister ; mais ce jour-là, comme on fut informé que Danton et Robespierre avaient le projet de soulever à cette séance des motions incendiaires, et de préparer une émeute, toute la gauche, y compris les membres étrangers aux délibérations des jacobins, se rendit à la salle de cette société, pour réunir les différentes fractions du parti populaire dans les dispositions de fermeté et de sagesse que les circonstances rendaient plus que jamais nécessaires. Danton, dont la quittance de cent mille livres était dans les mains du ministre Montmorin[2], y demanda la tête de Lafayette par ce dilemme :

  1. Dès les premiers temps des jacobins, lorsque tous les membres du côté gauche de l’assemblée y allaient encore, La Rochefoucauld, comme il l’a souvent répété depuis, fut tout étonné d’y rencontrer un homme qu’il savait être très aristocrate. On pourrait ajouter bien d’autres exemples qui prouveraient que les ennemis de la révolution ont toujours suivi le système de désorganisation et d’anarchie par lequel ils ont cherché à la souiller, et y ont réussi, au bout de trois ans d’efforts, d’une manière si fatale au genre humain.

    (Note trouvée dans les papiers du général Lafayette.)

  2. Danton s’était vendu à condition qu’on lui achèterait 100,000 liv. sa charge d’avocat au conseil, dont le remboursement, d’après la suppression, n’était que de 10,000 liv. Le présent du roi fut donc de 90,000 liv. Lafayette avait rencontré Danton chez M. de Montmorin le soir même où ce marché se concluait. Faut-il blâmer sévèrement le malheureux Louis XVI d’avoir voulu acheter le silence et l’inaction des gens qui menaçaient sa tête, et qui se seraient vendus aux orléanistes ou aux étrangers ? Quant à Danton, il était prêt à se vendre à tous les partis. Lorsqu’il faisait des motions incendiaires aux jacobins, il était leur espion auprès de la cour, à laquelle il rendait compte régulièrement de ce qui s’y passait. Plus tard, il reçut beaucoup d’argent ; le vendredi avant le 10 août, on lui donna 50,000 écus ; la cour, se croyant sûre de lui, voyait approcher avec satisfaction le mouvement prévu de cette journée, et Mme Élisabeth disait : Nous sommes tranquilles, nous pouvons compter sur Danton. Lafayette eut connaissance du premier paiement, et non des autres. Danton lui-même lui en parla à l’Hôtel-de-Ville, et cherchant à se justifier, lui dit : Général, je suis plus monarchiste que vous. Il fut pourtant un des coryphées du 10 août. Comme Lafayette n’aurait pas souffert que les agens de M. de Montmorin cherchassent à servir une contre-révolution royaliste plutôt que l’ordre légal, on cessa bientôt de lui faire, ainsi qu’à Bailly, des confidences de ce genre. Il y eut aussi quelque argent avancé par la liste civile à la police municipale, soit pour maintenir le bon ordre dans les lieux publics, soit pour empêcher les tumultes projetés par les jacobins ; mais ces dépenses, qui ne regardaient que très indirectement le commandant-général, n’avaient pas le moindre rapport avec les dépenses secrètes de la liste civile pour gagner des partisans au roi. Celles-ci furent presque toujours dirigées contre Lafayette.

    (Note trouvée dans les papiers du général Lafayette.)