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sistaient tout le service et tous ceux qui venaient faire leur cour, que ce prince descendit promptement sans être plus observé que les autres individus qui se retiraient à cette heure. Aucune consigne particulière ne pouvait être donnée contre lui, et l’attention des factionnaires, d’après ce qu’on a dit plus haut, ne pouvait pas être appelée sur son évasion. Néanmoins, ils en savaient assez pour l’arrêter, s’il eût été reconnu, et les officiers en savaient un peu plus.

Toutes les relations ont dit comment le roi et sa famille sortirent du château. On voit dans les Mémoires de M. de Bouillé qu’il avait proposé de prendre dans sa voiture l’ancien major des gardes-françaises, M. d’Agout, homme de tête et de courage, et que madame de Tourzel, gouvernante des enfans de France, réclamant avec chaleur sa prérogative d’être dans la voiture du roi, fit manquer cet arrangement qui les aurait sauvés. On ne sait pas bien si c’est en entrant ou en sortant du château que la voiture de Lafayette fut rencontrée par la reine qui était à pied ; la différence est peu importante, car il ne passa pas un long temps chez Gouvion. La reine a dit depuis que jamais elle n’avait éprouvé tant d’effroi. Un grand nombre d’hommes et de femmes allaient et venaient, surtout dans les groupes qui se retiraient après le coucher du roi, et il n’était pas difficile de se dérober à l’observation.

Ce ne fut qu’entre cinq et six heures du matin, qu’on apprit ce départ. Il n’avait pas été aperçu même des serviteurs du roi dans le palais ; il était ignoré de ses ministres, des royalistes de l’assemblée, tous laissés exposés à un grand péril, et qui, dans les premiers jours de leur irritation, disaient tout haut que si Lafayette avait été massacré, les désordres de la capitale leur auraient été funestes. Telle était la situation non-seulement des gardes nationaux de service, de leurs officiers, mais des amis les plus dévoués du roi, du duc de Brissac, commandant des cent-suisses, de M. de Montmorin, qui avait très innocemment donné un passeport sous le nom de la baronne de Korf. Si le roi n’eût pas été arrêté, dit M. de Bouillé, Lafayette aurait été certainement massacré par le peuple, qui le rendait responsable de l’évasion de ce monarque. Ce n’était pas non plus l’opinion des fugitifs qu’on pût empêcher un grand désordre, si l’on en juge par un billet de la reine à Mme de Lamballe, et par le mouvement de surprise qu’elle montra