Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/708

Cette page a été validée par deux contributeurs.
702
REVUE DES DEUX MONDES.

Battel, autant qu’on en peut juger par l’ensemble de son récit, n’était pas homme à mentir de propos délibéré ; mais quand il tenait un fait pour vrai, il ne croyait pas nécessaire, surtout dans une conversation animée, d’avertir qu’il n’en avait pas été témoin. S’il eut vécu jusqu’au temps où Purchas publia sa relation, peut-être aurait-il eu soin de nous dire qu’il n’avait vu ni les combats des pongos contre les éléphans, ni leurs rustiques mausolées, et qu’enfin l’histoire de l’enlèvement du petit nègre ne reposait que sur le témoignage de l’enfant lui-même.

Le second des voyageurs cités par Tyson dans le passage relatif à la taille que peut atteindre le pygmée est le P. Lecomte, homme fort instruit, fort judicieux, et qui a grand soin de faire la distinction malheureusement négligée par Battel. Bien lui en a pris, au reste, car ce qu’il raconte comme l’ayant vu a été pleinement confirmé par les observations ultérieures, pendant que ce qu’il répète sur des ouï-dire, s’est trouvé entaché de beaucoup d’exagération.

C’est dans une lettre à l’abbé Bignon que se trouve le passage en question, reproduit quelques années plus tard par l’auteur dans ses Nouveaux Mémoires sur l’état présent de la Chine (tome ii, page 501). Après avoir parlé de plusieurs animaux des Indes, crocodiles, tigres, buffles, éléphans, rhinocéros, etc., il poursuit en ces termes : « Ce qu’on voit dans l’île de Borneo est encore plus remarquable, et passe tout ce que l’histoire des animaux nous a jusqu’ici rapporté de plus surprenant. Les gens du pays assurent, comme une chose constante, qu’on trouve dans les bois une espèce de bête nommée l’homme sauvage ; dont la taille, le visage, les bras et les autres membres du corps sont si semblables aux nôtres, qu’à la parole près on aurait bien de la peine à ne les pas confondre avec certains barbares d’Afrique, qui sont eux-mêmes peu différens des bêtes.

« Cet homme sauvage, dont je parle, a une force extraordinaire ; et quoiqu’il marche sur ses deux pieds seulement, il est si leste à la course, qu’on a bien de la peine à le forcer : les gens de qualité le courent comme nous courons ici le cerf, et cette chasse fait le divertissement le plus ordinaire du roi. Il a la peau fort velue, les yeux enfoncés, l’air féroce, le visage brûlé ; mais tous ses traits sont réguliers, quoique rudes et grossis par le soleil. Je sais toutes