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LES ORANGS.

on a droit d’attendre d’elle quelque chose de plus que des autres mammifères, c’est-à-dire que ce qu’elle a d’humain dans l’organisation lui permettra d’imiter de plus près les actions humaines.

Pris jeunes, les baris s’accoutument à marcher sur deux pieds ; mais nous savons par d’autres voyageurs comment on donne aux singes cette habitude : c’est en leur tenant pendant long-temps les bras liés derrière le dos[1]. — On leur fait écraser du mil dans un mortier ; on obtiendrait certainement le même service du chien, s’il avait des mains qui pussent saisir le pilon[2]. — Ils vont chercher de l’eau à la rivière ; mais si on les y accompagne, et qu’on les emploie seulement pour porter et rapporter les cruches, comme les expressions de l’auteur permettent très bien de le supposer, le fait n’a plus rien d’étrange ; sans cette supposition même, il est au moins aussi croyable que ce que raconte le P. Acosta d’un singe de Carthagène[3], et Wafer des lamas du Pérou[4].

  1. Voyez Tyson. Anatomy of a Pygmie, p. 14.
  2. L’ours, par la disposition de son pied, peut, sans trop de fatigue, rester debout quelque temps, et c’est une position qu’il prend parfois de lui-même, lorsqu’il a besoin de découvrir au loin dans la campagne un ennemi ou une proie. Sa main, quoique privée d’un pouce opposable, est assez flexible pour empoigner un bâton ou saisir l’anneau d’une chaîne. Eh bien ! on a su tirer parti de ces ressemblances grossières entre son organisation et l’organisation humaine, pour lui faire faire l’ouvrage d’un manœuvre. Dans plusieurs villages des Andes du Pérou, on a vu des ours dressés à faire mouvoir le soufflet d’une forge. M. A. d’Orbigny, de qui je tiens ce fait, n’en a pas lui-même été témoin ; mais il l’a appris dans les villages où ces singuliers forgerons avaient long-temps travaillé, et où tous les habitans se souvenaient encore de les avoir vus à l’œuvre.
  3. « J’ai vu, dit Acosta (Histoire naturelle des Indes, liv. iv, chap. xxxix), dans la maison du gouverneur de Carthagène, un singe dont on me conta des choses presque incroyables. Ainsi, on me dit qu’on l’envoyait chercher du vin à la taverne, en lui mettant l’argent dans une main et la cruche dans l’autre, et qu’arrivé là, il n’y avait pas moyen de lui faire lâcher l’argent avant qu’il eût reçu le vin. On ajoutait que quelquefois dans sa route, se voyant attaqué ou seulement hué par des enfans, il mettait son pot de côté, saisissait des pierres, et les lançait aux polissons, et que, quand il avait ainsi balayé le passage, il retournait tranquillement prendre sa cruche et poursuivait son chemin. On disait encore, ce qui est peut-être plus étonnant que tout le reste, que, bien qu’il aimât beaucoup le vin (et je l’ai vu en boire à la régalade, son maître le lui versant d’en haut) il ne se hasardait pas à toucher à la cruche dont il était chargé jusqu’à ce qu’on lui en eût donné la permission. On disait enfin que, lorsqu’il voyait passer une femme fardée, il courait à elle, la décoiffait, et la traitait fort mal. Il est possible que dans tout cela il y ait un peu d’exagération, et je n’en ai pas été moi-même témoin ; mais le fait est que le singe est de tous les animaux celui qui comprend le mieux, à beaucoup près, la manière d’agir des hommes et a le plus d’aptitude à y conformer la sienne. »
  4. Wafer, après avoir décrit les lamas, qu’il assure avoir vus à l’île de Mocha, ajoute : « Les Espagnols nous dirent encore qu’à une ville dont j’ai oublié le nom, et où l’on ne trouve pas d’eau à moins d’une lieue de distance, on a dressé ces animaux à en aller chercher. On leur met sur le dos deux jarres, comme on met deux paniers sur celui d’un âne, puis on les laisse aller. Sans que personne les conduise, ils se rendent à la rivière, entrent dans l’eau, s’y couchent, se penchent à droite et à gauche, remplissent les jarres, puis se redressent, et reviennent d’eux-mêmes à la maison. » (A new voyage to the Isthmus… by Lionel Wafer ; second edit, London, 1704, pag. 201.)